Un oeil ouvert sur la tech

Édito Décembre – CRÉATIVITÉ

D’après le Petit Larousse la créativité c’est la « Capacité, la faculté d’invention ou d’imagination, le pouvoir créateur ». En ces temps troublés où les machines produisent des contenus qui ressemblent à s’y méprendre aux travaux d’artistes que des heures, des mois voire des années de travail ont permis d’obtenir, la question de la créativité se pose.

La créativité comme facteur différenciant entre homme et machine, intelligence humaine et synthétique, met-elle définitivement à l’abri les artistes, dessinateurs, écrivains et autres esprits de l’art de l’emprise de la machine ? La question en tous cas ne cesse d’agiter les forums et les réseaux sociaux où, les défenseurs. seuses des arts visuels se confrontent aux ingénieurs qui nous ressortent encore et encore la bonne vielle théorie que la machine est neutre et que seul l’homme perverti son usage. On le sait depuis Jacques Ellul, la Tech est bien plus ambivalente. Et pour reprendre — tant que je suis dans le “name dropping” — l’idée de Jacques Derrida du Pharmakon, tout réside dans le dosage. 

Or, ni le technicien ni l’artiste ne s’occupe de la proportion d’art et d’automation dans l’espace public, c’est le marchand qui définit les règles, tout du moins, il suit celles de l’offre et de la demande. Donc le sort des outils de génération d’image automatique n’a rien à voir avec la qualité intrinsèque de l’art produit par des créateurs dont le métier s’est nourri d’années d’expérience. Il a tout avoir en revanche avec le fait de savoir si certains sont sensibles à cette plus-value et s’ils sont prêts à payer le prix pour obtenir cette plus-value. 

Et là, le problème prend une dimension davantage économique. Le choix des plateformes d’utiliser ou pas la génération d’image par AI n’est pas dictée par l’envie de fournir un outil de plus à leurs créateurs. Pas plus qu’il n’est dicté par la réassurance que l’artiste ne sera jamais dépassé par la machine. Pas plus encore qu’il n’est dicté par la neutralité des outils qu’on lui propose. Il est dicté par la marge opérationnelle dégagée en fin d’année, il est dicté par un bénéfice pécuniaire. Les clients de ces plateformes font les mêmes choix et leurs utilisateurs de même. 

Car au fond, il n’y a que dans les musées et dans certains cercles d’amateurs sensibles qu’on se soucie de voir des créations originales. La vignette YouTube générée par Dall.E ou la photo d’illustration de l’article de brand content ne mérite ni notre attention ni qu’on y investisse le temps d’un graphiste. 

Et donc, in fine, c’est la victoire des contenus cheap, fabriqués (digérés) à la chaine par les Stables Diffusions and Co. Les travaux — remarquables et inspirés — de certains créateurs trouveront toujours chaussure à leur pied, mais les commandes alimentaires, celles qui nourrissaient la femme ou l’homme derrière le pinceau, vont se faire de plus en plus rares à mesure que les publications de tous genres remplaceront leurs images par des images synthétiques. 

Si l’intelligence artificielle n’est capable que d’imiter, elle n’a pour cela besoin de rien d’autre que d’un peu de courant électrique. Les créateurs auxquels certains imposent de reproduire le style ou l’agencement d’autres artistes plus connus ont eux besoin de nourriture pour exprimer leur créativité et dépasser ces commandes alimentaires. En les privant de petits revenus bien utiles, on prive « demain » des artistes d’aujourd’hui.

Tout ça, c’est à découvrir dans ce numéro de SYNTH.

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