Un oeil ouvert sur la tech

Les graines de la discorde

En France, le journal le Monde a donc ouvert le bal des négociations avec OpenAI. Le 13 mars dernier, le vénérable titre d’Hubert Beuve-Méry a conclu un accord pluriannuel avec la société américaine qui distribue ChatGPT. Objectif, se positionner au sein du chatbot animé par GPT-4 comme une des sources factuelles de référence. Il rejoint en cela Associated Press et le groupe Axel Springer, Prisa Media et le Financial Times et précède d’autres titres — français notamment — qui cherchent à se mettre dans la roue des géants de la tech et bénéficier de l’appel d’air lucratif que l’accord représente. 

C’est un pari risqué a plus d’un titre. Certes, il s’agit d’une opportunité business évidente pour le Monde, qui s’assure une place de choix pour les prochains mois au sein de ChatGPT. Le journal sécurise une forme de découvrabilité de ses contenus par les utilisateurs de l’outil, tire de cet accord des revenus substantiels (à l’échelle du Monde) et met le doigt dans l’engrenage de l’IA en nouant des liens techniques forts avec OpenAI et Microsoft. 

Les millions de l’accord serviront certainement à accentuer la consolidation financière du titre (on l’espère en tous cas) et peut-être, si les étoiles sont alignées, à développer en interne une solution maison, un LLM « le Monde », une forme de PressGPT basée sur un modèle open source et entrainé sur les archives du journal pour affirmer son indépendance technologique (on peut rêver).

Mais cet accord est aussi un accord égoïste à la vision court-termiste qui tire probablement dans le pied d’une presse déjà bien éclopée. En réaction, les autres titres n’ont pas d’autre choix que de tenter le tout pour le tout et d’entrer en négociation avec OpenAI. Les gros éditeurs comme les Échos-le Parisien ou le Figaro arriveront peut-être à leurs fins, mais des titres plus fragiles ou indépendants, voire les petits acteurs n’auront que très peu de chance de rentrer dans la danse ou négocier des compensations adéquates. Les syndicats d’éditeurs n’auront probablement guère plus de chance.

Quelques chèques seront signés ici ou là, mais rien ne sera comparable à un dispositif légal du type « droits voisins » censé compenser l’utilisation par Google des contenus de la presse dans ses résultats. En parlant de Google, le géant du search profitera d’ailleurs certainement des droits voisins pour vaguement compenser les éditeurs de l’utilisation de leurs archives dans les réponses de Gemini.

En revanche, c’est le bien le plus précieux de la presse qui va être cédé contre une poignée de cacahuètes1, j’ai nommé les archives, c’est-à-dire la donnée des journaux. De la donnée qualifiée, vérifiée, et sourcée, précieuse pour l’entrainement des IA. 

Il faut mettre en perspective également un autre risque. Celui de passer d’une ère du SEO (search engine optimisation) aux règles floues et imprédictibles à une ère du LLMO (LLM optimisation) encore plus floue et imprévisible. Le dictat des algorithmes de recommandation faisant déjà des ravages, on n’ose imaginer ce qu’il faudra faire pour se placer en bonne position dans les futurs moteurs SGE (search generative experience) et se retrouver dans les quelques dizaines de résultats alimentant les réponses rédigées par le moteur de recherche d’OpenAI, un équivalant de Perplexity.ai ou dans le résultat généré de Geminid’Arc ou de Safari

Rien dans ces accords n’inspire pour le moment d’optimisme, alors que pourtant, une forme de cohésion industrielle aurait peut-être permis de poser les bases d’une négociation plus solide et in fine, davantage au service des lecteurs. 

  1. On rappelle à toutes fins utiles que la valorisation d’OpenAI s’élève à près de 80 milliards et que Sam Altman projette une levée de fonds de 7000 milliards de dollars pour développer une infrastructure technique et la production de puces adaptée à l’IA essentiellement.  ↩︎
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