EN UN COUP D’OEIL
- Tesla en chute libre : Boycotts, scandales et soutien à l’extrême droite fragilisent la position européenne du géant électrique.
- Un marché carbone déstabilisé : La baisse de Tesla menace l’équilibre d’un système vital pour les constructeurs pollueurs en Europe.
- Hypocrisie et paradoxe vert : Musk s’enrichit grâce aux normes qu’il critique, tout en minant la crédibilité écologique du système.
Les difficultés boursières de Tesla, géant américain des véhicules électriques ont une conséquence inattendue sur le marché des crédits carbone. Liés à la firme d'Elon Musk, plusieurs constructeurs se trouvent en mauvaise posture pour compenser leurs émissions carbone. Décryptage d’un effet papillon qui touche en particulier l’Europe.
Le géant américain des véhicules électriques est dans la tourmente. Longtemps symbole d’innovation, Tesla subit une série de revers boursiers attribués à la personnalité d’Elon Musk, notamment depuis ses saluts nazis diffusés en mondovision et sa nomination comme techno-king de la destruction de l’État fédéral américain.
+ La firme est désormais ciblée par des campagnes de boycott, de vandalisme et des actions destinées à faire chuter son cours en Bourse rassemblées sous le hashtag #TakeDownTesla. Début mars 2025, Donald Trump s’est improvisé homme sandwich pour le carrossier, déclarant qu’aux États-Unis, toute violence contre un véhicule Tesla serait qualifiée de terrorisme. Une mise en scène qui a permis au cours de l’action de timidement remonter (CNN)
+ La « swasticar » n’a pas plus la côte en Europe, notamment depuis qu’Elon Musk a publiquement soutenu le parti d’extrême-droite allemand AfD. Le constructeur n’a vendu que 16 000 véhicules en février 2025, une baisse de 44 % en moyenne sur 25 pays de l’Union européenne, qui comprend les ventes aux Royaume-Uni, en Norvège et en Suisse (The Guardian). Globalement, les ventes de Tesla se sont effondrées en 2025 (Libération).
La danse du crédit carbone
Or, cette chute des ventes n’a pas seulement un effet sur le chiffre d’affaire de l’entreprise, elle fragilise tout un écosystème lié au marché des compensations carbone. Ce marché, qui découle des principes du protocole de Kyoto obéit au principe du « pollueur-payeur » : les entreprises qui émettent du CO2 peuvent y acheter des crédits carbone qui « compensent » ainsi leurs émissions.
+ Dans le secteur automobile, Tesla est au centre de l’un des groupes de constructeurs (pool) qui s’allient pour échanger des crédits carbone, et ainsi remplir les objectifs fixés par l’Union européenne.
+ Le principe : des constructeurs automobiles pollueurs (Toyota, Stellantis, Mazda et Ford) se regroupent pour racheter à une entreprise moins pollueuse – et donc détentrice de crédits carbone – (Tesla) lesdits crédits. Ces transactions s’opèrent sur un marché, le marché des crédits carbone. Cela permet aux premiers d’éviter des amendes, et au second d’empocher des profits (Automobile Propre)
+ Cette petite sarabande s’est constituée en réponse à la réglementation sur les émissions carbone imposée en Europe. En vertu de la norme CAFE (Corporate Average Fuel Economy), chaque constructeur automobile a en effet un objectif d’émission maximum à remplir, qui se réduit chaque année. Depuis le 1er janvier 2025, celle-ci impose que les constructeurs réduisent de 15 % les émissions de leurs véhicules par rapport aux immatriculations de 2021 (Automobile Propre).
S’enrichir grâce aux normes européennes
En 2024, le leader américain des véhicules électrique a ainsi empoché 2,8 milliards de dollars de issus des crédits carbone. Une manne qui représente une augmentation de 54 % par rapport à ses revenus tirés de ce système en 2023 (Financial Times)
+ Ironie de l’histoire, Elon Musk qui s’affiche hostile à la « bureaucratie » et à la régulation sous toutes ses formes s’enrichit en réalité avec les normes européennes (Off Investigation)
+ Tesla est loin d’être le seul acteur du numérique impliqué dans les échanges de crédits carbone. Même si Microsoft, Amazon et consorts sont plus connus pour les solliciter que pour les revendre. En 2024, Microsoft était même le plus gros acheteur de crédits carbone au monde derrière… le pétrolier Shell (Carbon Credits, Financial Times).
+ Dans le cas des acteurs du numérique, des études montrent que leur recours aux crédits carbones permet de brouiller l’impact environnemental réel de leurs technologies. Ces temps-ci, l’intelligence artificielle est la première à tirer la demande en énergie et en matériel pour les data centers permettant de soutenir ce marché (Bloomberg Law).
Business complexe et marché faussé
Le fonctionnement des marchés de crédits carbone est néanmoins critiqué. L’achat de crédit carbone repose en général sur deux types de « compensation » : la réduction d’émissions de CO2 d’un côté, leur séquestration de l’autre (Carbone 4)
+ Mais pour un nombre croissant d’acteurs, l’idée même que ces crédits permettent de « compenser » des émissions déjà relâchées dans l’atmosphère est un problème. Certains appellent d’ailleurs à les renommer « contribution » carbone (Carbon Brief)
+ Le greenwashing est aussi ce que pointe Vivian Jenna Wilson, fille d’Elon Musk et en froid avec lui depuis plusieurs années. La jeune femme conteste le vernis écologique sur lequel repose le marketing de Tesla depuis plusieurs années. Elle qualifie par ailleurs le fonctionnement de l’entreprise de « pyramide de Ponzi » (Auto Plus).
Pas de Tesla, pas de crédits
Les positions politiques d’Elon Musk et son rapport à l’environnement ne sont pas les seules raisons pour lesquelles la vente de véhicule fond comme neige au soleil sur le Vieux Continent. La marque n’a pas produit de nouveau modèle depuis plusieurs années, si bien que plusieurs acteurs européens et chinois proposent désormais des modèles plus attractifs (Politico).
+ Dans un contexte global d’augmentation des ventes de véhicules électriques au sein de l’Union européenne, Tesla était déjà en retard sur ses objectifs en termes d’émissions carbone fin février 2025 (International Council on Clean Transportation).
+ Avec, comme potentielles victimes collatérales, les autres membres de son pool… qui pourraient se tourner vers des constructeurs chinois pour éviter l’amende (Automobile propre). Cette reconfiguration des alliances scellées au cœur du marché de la compensation carbone signerait alors un drôle de revirement, notamment pour le patron de Tesla, soutien le plus médiatique d’une guerre commerciale avec la Chine. (La Tribune).