« Des dizaines de millions de dollars bien dépensés -- on ne sait jamais », voilà ce que répondait il y a quelques jours Sam Altman, le CEO d’OpenAI, à un internaute qui se demandait combien l’entreprise avait perdu d’argent à cause des personnes ajoutant des « s’il te plaît » et des « merci » lorsqu’elles s’adressaient à ChatGPT.
Alors que les prises de parole de celui qui a propulsé OpenAI dans la liste des entreprises les plus puissantes de la planète sont lourdement scrutées, on ne peut que sourire devant ces quelques mots tant ils reflètent, en à peine une phrase, les différents enjeux auxquels la technologie est confrontée et le décalage total d’Altman avec le monde réel.
Quand il dit « on ne sait jamais », il semblerait qu’Altman s’adresse aux utilisateurs qui remercient ou saluent la machine dans une perspective de prise de pouvoir de cette dernière – en mode Terminator donc. Suite à la révolution des robots, certains individus qui auraient été « polis » seraient alors épargnés – le lecteur sérieux aura certainement souri devant pareilles inepties, c’est pourtant la motivation derrière 12% des salutations à la machine… ! Altman répond donc aux craintes d’une petite minorité de celles et ceux qui interagissent poliment avec leur agent conversationnel.
Venant de la part d’un homme dont l’entreprise avait, jusqu’il y a peu, l’objectif de développer une intelligence artificielle sans danger, on aurait pu en attendre davantage et qu’il s’attarde sur les impacts environnementaux, économiques ou encore sociologiques de sa pépite technique.
Tout d’abord, Altman n’aborde pas les coûts écologiques – et c’est pourtant notamment de ça dont il s’agit ici. Les millions de dollars dépensés par OpenAI le sont principalement en électricité, mais également en eau et, dans une prospective plus holistique, en terres rares. L’impact environnemental de la technique, bien que difficile à quantifier, est gargantuesque. Décorréler les questions climatiques des questions technologiques tient soit de la naïveté, soit d’une incompréhension technologique totale, à moins qu’il ne s’agisse d’une volonté à peine dissimulée de tromper le public ! Par ailleurs, il ne faudrait pas tout mélanger : les salutations à la machine ne sont pas responsable du désastre écologique des LLMs ; Altman qui dirait « arrêtez de dire bonjour et merci, ça pollue trop », c’est un peu comme Patrick Pouyanné qui dirait « arrêtez de manger des mangues, ça pollue trop » – il y a une question d’échelle qu’il ne faudrait pas trop oublier. La paille, l’œil, la poutre – bref.
On aurait également pu espérer qu’il élabore sur les objectifs mercantiles de cet anthropomorphisme. Les études montrent que le fait d’attribuer des caractéristiques humaines à la machine en facilite l’adoption – quand Sam Altman explique que ces millions de dollars étaient « bien dépensés », peut-être parle-t-il précisément de cette adoption croissante, rendue plus aisée par une machine toujours plus polie, toujours plus insidieusement présente dans notre quotidien. Quand chaque dirigeant politique joue aux enchères de la plus grosse annonce, la question des investissements dans la technique doit nous préoccuper puisqu’il s’agit ici des deniers publics – comment ceux-ci seront-ils investis ? Quand on voit la force du lobby, on sait bien qui dira « merci »…
Ce qui nous amène, tout naturellement, à un troisième impact de ce « bonjour » à ChatGPT : l’érosion des relations humain-humain dans une ère où la relation humain-machine prend toujours plus de place. Une étude récemment publiée dans la Harvard Business Review révélait que le cas d’usage principal des IA génératives était de les utiliser comme psychologue. Alors que pullulent déjà les avatars dont certains déclarent « tomber amoureux », voilà que c’est maintenant le soutien psychologique qui, après l’amour, semble être relégué aux IA. La véritable question est sans doute ailleurs : est-ce qu’à force de parler aux machines comme on parle aux humains, nous ne risquons pas de parler aux humains comme nous parlons aux machines ? Depuis l’avènement des chatbots et autres LLMs, c’est bien notre relation à l’altérité, à autrui, qui a été mise à mal.
Alors que l’IA est chaque jour plus présente dans nos vies, (et c’est parfois une excellente chose !) il semble capital de se pencher sur les enjeux que posent la technique et son développement. Apparemment, Sam Altman a décidé de se pencher sur certaines des questions qui entourent l’avènement de sa technologie – nous ne pouvons qu’espérer qu’il se penche rapidement sur les bonnes questions. Celles qui nous affectent tous. Celles qui comptent vraiment.