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Candidat TikTok, microciblage communautaire : le spectre de Cambridge Analytica plane sur les élections

EN UN COUP D’OEIL

  • Élection annulée en Roumanie : La Cour constitutionnelle dénonce une campagne pro-russe orchestrée via TikTok, ouvrant une crise démocratique.
  • TikTok dans le viseur de l’UE : Enquête sur l’usage d’algorithmes pour manipuler l’électorat, rappelant le scandale Cambridge Analytica.
  • Manipulation numérique généralisée : Les publicités ciblées attisent la polarisation de l’opinion, posant des enjeux cruciaux partout dans le monde.
Élection, risque maximum ? La cyber-ingérence électorale et la manipulation d’opinion par des puissances hostiles aux démocraties libérales sont aujourd’hui catalysées par le déploiement des intelligences artificielles et la fin de la modération sur certaines plateformes. 

L’officine de marketing électoral a beau avoir été fermée en 2018, le spectre de l’affaire Cambridge Analytica hante toujours les démocraties libérales. Dernier exemple en date, les soupçons de manipulation pesant sur l’élection présidentielle roumaine. Une partie d’échec qui s’est jouée en avant-première sur TikTok.

+ Fait rarissime ! Au mois de décembre 2024, l’élection présidentielle en Roumanie a été annulée par la Cour Constitutionnelle du pays, en raison de forts soupçons d”ingérence et de manipulation de l’opinion en faveur d’un candidat pro-russe d’extrême-droite (Le Monde et Le Grand Continent).

+ C’est sur le réseau social TikTok que Calin Georgescu, un candidat connu jusqu’alors pour ses prises de position complotistes à teneur populiste, a connu une ascension fulgurante. À la veille du premier tour, sa présence virale a envahi les téléphones des quelques 9 millions d’utilisateurs roumains du réseau social chinois. Une campagne au coût estimé proche du million d’euros (The Conversation).

+ Le renversement de vapeur a été complet. Calin Georgescu a éclipsé le premier ministre pro-européen, Marcel Ciolacu, pourtant donné largement vainqueur par les sondages. Celui-ci est désormais le visage européen d’une première : celle d’une élection qui s’est jouée par KO sur TikTok, avant d’être annulée. Match retour, en mai 2025 (Courrier International).

Microciblage communautaire sur Snapchat

Les États-Unis, le pays par lequel le scandale Cambridge Analytica est arrivé, ne sont pas en reste. La campagne ayant conduit à la réélection triomphale de Donald Trump en novembre 2024 a été marquée par des efforts sans précédent de microciblage politique, en faveur du milliardaire républicain.
 
 + Une enquête du site d’investigation 404media a montré que le Future Coalition PAC (political action committee), un véhicule de financement électoral privé soutenu par Elon Musk, a réalisé une importante campagne de micro-ciblage communautaire sur la plateforme Snapchat, à partir des codes postaux de quartiers populaires dans plusieurs états (404 media).

+ Grâce à l’IA, dans le Michigan, les populations musulmanes étaient ciblées par des messages associant Kamala Harris à l’état d’Israël. En Pennsylvanie, les électeurs juifs recevaient quant à eux des contenus ciblés marketés avec le message inverse, puisque la candidate démocrate y était dépeinte en antisémite soutien de la Palestine (404 media).

+ Une campagne de publicité politique destinée à souffler sur les braises d’une guerre particulièrement traumatique, qui gagne le prix de marketing électoral “le plus cynique de l’année” (Huffington Post).

Régulateurs, un train de retard

Illégales en Europe, ces pratiques sont pourtant difficilement traçables par les régulateurs. La présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen, s’est toutefois alarmée du précédent roumain.

+ Dans un communiqué, la présidente a ainsi déclaré : « A la suite d’indication sérieuses selon lesquelles des acteurs étrangers ont interféré dans les élections présidentielles roumaines en utilisant TikTok, nous menons une enquête approfondie pour déterminer si la plateforme a violé la loi sur les services numériques en ne s’attaquant pas à ces risques » (Politico).

En dépit du fait que la loi européenne Digital Service Act prévoit un encadrement strict des publicités politiques en ligne, les plateformes ne la suivent pas à la lettre.

+ Les travaux de la chercheuse Oana Goga le montrent de manière empirique. Facebook (Meta) ne répertorie pas systématiquement toutes les publicités politiques dans son outil “Ad Library”. + L’algorithme de cet outil peine même à opérer un tri efficace entre le marketing politique et sa cousine la publicité commerciale.

+ Ainsi, lors de l’élection de 2018 au Brésil, “2 % des publicités commerciales reçues par les utilisateurs pendant les élections présidentielles brésiliennes de 2018 étaient en fait politiques bien que non déclarées comme telles”, s’alarme la chercheuse. (Le Journal du CNRS).

So Long, modération

La décision unilatérale de Mark Zuckerberg de mettre fin à la modération sur les plateformes de son groupe Meta accentue encore plus le risque politique d’ingérence et de manipulations.

+ En particulier au temps de l’IA “slop”, soit le déversement en continu d’une information vide de faits et de sens, par des IA génératives. Un arraisonnement d’Internet par le vide propre à noyer le continu informationnel dans une mélasse de fake news, dont des fausses nouvelles politiques (Dans les algorithmes).

+ En réponse, un meme ironique circule désormais sur Internet. Il reprend une photo du patron de Meta, titrée : « Le patron de Facebook, Mark Zuckerberg, pédophile décédé à 36 ans estime que les plateformes sociales ne doivent plus opérer de fact-checking » (Instagram).

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