Chacun ses déviances.
Que vous racontiez votre vie à une suite complexe de régressions linéaires 1 ou que vous utilisiez ChatGPT comme conseiller conjugal, ne me regarde pas. Vous contribuez à pourrir le climat, certes moins que l’avion, les centrales au charbon ou la bagnole, mais au moins vous n’emmerdez personne directement.
Mais quand on m’annonce, les yeux encore brillants d’un rêve fiévreux, qu’il faut désormais s’agenouiller devant Copilot, Cursor ou Claude Code et confier la programmation aux agents IA, je rouspète. Non, je ne sacrifie pas à ce nouveau Veau d’or. Le vibecoding ne fait pas partie de mes travers honteux.
Affirmer que les programmes programment maintenant mieux que les humains m’agace prodigieusement. La question n’est pas de savoir si les performances des cerveaux électroniques surpassent celles des cerveaux biologiques. Il n’y a plus de débat possible depuis les Z1 et Z3 construits par l’ingénieur allemand Konrad Zuse 2 juste avant la Seconde Guerre mondiale. Les ordinateurs sont conçus pour calculer mieux que nous. Qui peut encore s’en étonner ?
Les programmes programment mieux qu’un humain — plus précisément, ils écrivent du code source plus rapidement que nous. Ce n’est pas nouveau. Depuis les années 1950, des compilateurs traduisent les langages haut niveau adaptés au mode de raisonnement humain, vers des langages bas niveau adaptés au traitement de l’information par les processeurs. Depuis les années 1940, l’industrie informatique a vu ses performances doubler tous les 18 mois, notamment la puissance de calcul et les capacités de stockage. Les programmes en ont bénéficié directement.
Les agents IA dont on parle sont des programmes adossés à des modèles de langage (LLM) qui ont intégré l’ensemble du code source disponible et qui ont été entraînés à interagir efficacement avec des humains. Les processus se fluidifient, les coutures disparaissent progressivement.
Doit-on s’étonner que des programmes capables de mobiliser une gigantesque puissance de calcul et qui vivent dans des espaces en très grande dimension puissent montrer des capacités de copier/coller fabuleuses, inhumaines par construction ? Le physicien Eugene Wigner parlait en 1960 de la déraisonnable efficacité des mathématiques 3 ; l’informaticien Richard Sutton observe les progrès de l’intelligence artificielle depuis 70 ans 4 et conclut amèrement que, sur le long terme, seule compte la capacité à exploiter la puissance du calcul. Le parallèle est tenant : on peut parler de la déraisonnable efficacité du calcul.
Doit-on s’étonner que des agents écrivent des programmes plus rapidement que des humains ? Non. Ce sont factuellement des autocomplete sous stéroïdes aux possibilités stupéfiantes. Ces outils d’aide à la décision sont utiles dans certains cas, que ce soit en no-code ( vibecoding ) ou comme assistant de développement comme Copilot, Cursor ou Claude Code.
Doit-on déléguer à ces outils la conception et l’écriture de programmes importants, complexes ou critiques ? Sûrement pas ! Jusqu’à preuve du contraire, ces programmes, comme l’ensemble des algorithmes de deep learning, restent désespérément incapables de toute forme de réflexion. Et s’ils raisonnent, ce n’est pas d’une façon que nous pouvons comprendre aujourd’hui. Même si les grands patrons de la tech’ l’affirment à demi-mot, ou le sous-entendent : ils ont des services à vendre, ou des processeurs à écouler.
Les programmes programment-ils efficacement ? Non. Ils programment vite, mais sans profondeur ni sans vision d’ensemble. Les programmes programment sans intelligence. Les retours des développeurs expérimentés commencent à construire une forme de consensus : les agents écrivent vite, mais ils se plantent régulièrement et la qualité n’est pas toujours au rendez-vous. Et tous ont une pensée émue pour les développeurs débutants, qui doivent faire face à une concurrence effroyable, voire déloyale. ChatGPT est meilleur qu’un dev junior.
Je renvoie au papier de Waleed Kadous (ex de Google et Uber) 5 qui documente son retour d’expérience avec les agents IA et le vibecoding. Il recommande de relire chaque ligne de code générée par un agent (faites-le) et il propose une analogie plaisante entre l’utilisation des agents IA et le maniement d’une tronçonneuse : « don’t chainsaw while blindfolded, drunk or not paying attention ».6 De sages paroles.
Illustration: Rick Rubin, producteur de musique (Red Hot Chilly Peppers et Johnny Cash) réinvente le code en The Way of code en alliant philosophie orientale et vibe coding au point de devenir un meme.
- Ce rapport présente les 100 principaux cas d’utilisation de l’IA générative en Mars 2025. Il offre selon son auteur, une évaluation quantitative et un aperçu qualitatif de la manière dont l’IA façonne la vie quotidienne. L’étude semble faite à l’arrache, mais elle est intéressante pour ses verbatims. ↩︎
- La naissance du premier ordinateur programmable fonctionne, Epitech ↩︎
- The Unreasonable Effectiveness of Mathematics in the Natural Sciences, Wikipedia ↩︎
- The Bitter Lesson, Rich Sutton, mars 2019 ↩︎
- Vibe-coding is a horrible idea. So is dismissing AI-assisted coding, Waleed Kadous, 14 avril 2025 ↩︎
- N’utilisez pas de tronçonneuse les yeux bandés, bourré alors que vous ne faites pas gaffe, ↩︎