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Instagram, la visibilité des artistes contre leur indépendance

EN UN COUP D’OEIL

  • Un réseau indispensable, mais risqué : Instagram, vitrine essentielle pour les artistes, révèle ses failles face aux piratages croissants et services d’aide défaillants.
  • Payer pour retrouver son compte : Des solutions gratuites inefficaces poussent les créateurs à souscrire à Meta Verified pour récupérer leur accès.
  • Entre dépendance et alternatives locales : Certains artistes réévaluent leur stratégie, privilégiant des approches locales face aux limites des réseaux sociaux.
Plusieurs artistes ont vu leur compte Instagram piraté en octobre. Certaines ont bataillé deux semaines avec les services de Meta avant de récupérer leur compte, une autre pendant deux mois. Plus que les défaillances du support du réseau social, cette histoire révèle la dépendance des artistes à ces services.

Instagram revisite le pacte faustien : la visibilité contre l’indépendance. Cette promesse d’exister peut tenter tout artiste désireux de vivre de ses créations. « Nous sommes tous fauchés, c’est difficile d’en vivre », témoigne Marie Seiller, jeune illustratrice brestoise, « Et là t’as une plateforme gratuite qui permet d’avoir de la visibilité. Mais tout ce qui est gratuit a des limites et n’est jamais vraiment gratuit. » Elle et d’autres artistes en font l’amère expérience dans le courant du mois d’octobre, quand toutes perdent l’accès à leur compte Insta. Toutes ont été piratées et rencontrent le même problème : elles n’avaient pas activé la 2FA (authentification à double facteur) et le pirate a changé le mail de récupération de mot de passe. Toutes vont galérer à récupérer leur compte, notamment face à un service d’assistance utilisateur inatteignable, aléatoire, sinon inopérant.

En 2022, le site de l’Acyma1 connaissait une augmentation de 97,5% 2 des recherches sur son site et des demandes d’assistance liées aux piratages de comptes, par rapport à l’année précédente. Son rapport d’activité de 2023 3 hisse cette menace à la deuxième place pour les particuliers, derrière l’hameçonnage, et en 1re place pour les entreprises, avec une progression respectivement de 22% et 26% des demandes d’assistances en 2023. Cette année, l’Acyma constate « une hausse significative de la consultation de nos conseils sur le piratage 4 de compte (+ 44%) avec plus de 150 000 vues à date [18 décembre, NDLR]. »

« J’étais très low-tech avant », regrette Marie. Lorsqu’elle se lance dans l’illustration, il y a un an, elle n’a ni smartphone, ni Instagram et écouter de la musique chez elle, c’est avec ses vinyles et puis c’est tout. « Ce train, je ne l’ai pas loupé, je ne l’ai juste pas pris par conviction, c’était contre mes valeurs », affirme-t-elle. Mais ses idées se heurtent à ses ambitions. Tout son entourage la prévient : si elle ne veut pas « jouer à ce jeu-là », Marie désigne comme ça les réseaux sociaux, elle n’y arrivera pas à en vivre. Elle s’y met finalement et découvre l’outil, « comme un enfant avec un nouveau jouet », avoue-t-elle. « Je peux être en lien avec d’autres artistes et discuter avec des personnes qui aiment mon travail », s’enthousiasme l’ancienne architecte. Mais quand elle se réveille le 10 octobre, sans accès à son compte Instagram, les galères commencent.

« Payer a suffi »

 « Tous mes amis artistes s’inquiètent, ils se demandent comment je vais faire », raconte la Brestoise. La plupart de ses commandes passent par la plateforme de Meta. Elle remue ciel et terre pour récupérer son compte : chez Meta elle ne trouve pas de réponses adaptées ; elle toque à la porte d’un commissariat, elle repart avec un prospectus pour faire un signalement en ligne ; puis, finalement la Cnil la renvoie vers le support d’Instagram. Résignée à laisser son compte entre les mains de son nouvel utilisateur, elle décide de contacter sa communauté et les appelle à se désabonner. Elle rit jaune : « Tu cours après les followers en temps normal, et là, je me retrouve à les inciter à ne plus me suivre. »

L’un de ses amis lui trouve une solution : payer. Pour près de 14 euros le mois, elle peut accéder à au support Meta Verified. Prévoyante, elle sort sa carte bleue et une pièce d’identité pour se préparer à une vérification un peu poussée. « Payer a suffi », s’étonne la trentenaire, un peu décontenancée. « La première personne du support que j’ai eu, il m’a dit que ça n’était pas possible. » Le compte piraté ne poste pas, n’envoie pas de messages à ses contacts et donc « respecte la charte Instagram ». Un moment, elle songe à déposer son nom comme marque à l’Inpi, l’institut national de la propriété industrielle. « Oui je suis allé loin », se marre-t-elle. « Je me suis dit : mon nom en tant qu’entité commerciale est peut-être plus importante dans ce monde-là. » À la deuxième tentative, avec cet argument dans la balance, elle récupère son compte.

Après avoir récupéré son compte, Marie se rend compte qu’une commande de 2 000 euros passée par une mairie aurait pu lui passer sous le nez – une somme substantielle par rapport à ses revenus. Selon une étude IPSOS 5 réalisée pour Cybermalveillance.gouv.fr (Acyma), menée cet été sur un échantillon de 3100 français, 22% des victimes de piratage d’un compte en ligne déclarent avoir subi une perte financière due à cette attaque.

Toutes les méthodes gratuites de récupération de comptes dysfonctionnelles

Savannah Glass, aussi, a vécu la même histoire. La Dijonnaise de 27 ans fabrique des peluches de ses mains, un savoir-faire acquis lors du confinement. Le 24 octobre, elle perd l’accès à son compte, juste avant une convention manga et cosplay importante. « Toutes les méthodes gratuites pour le récupérer ont échoué », peste-t-elle. La vérification par selfie ? L’application s’éteint toute seule. La double validation par deux amis désignés par ses soins ? À cinq reprises, la procédure n’aboutit pas, l’un des deux contacts ne reçoit jamais le message. « J’ai lutté deux semaines avant de me résigner à payer un compte Meta Verified », concède la brodeuse. Elle aussi, des commandes étaient en attente, dont une commande de 300 euros, qui aurait pu ne pas se concrétiser.

Pas non plus à l’aise à l’idée de se mettre en scène sur les réseaux, elle constate, avec dépit : « Quand t’es créateur, tu dois aussi être secrétaire, comptable et community manager. Mais je n’ai pas le réflexe de raconter ma vie, c’est un réel effort de poster. J’aimerais bien leur dire d’aller se faire voir. Techniquement, c’est nous qui aidons Instagram à garder du monde sur la plateforme », analyse la Dijonnaise avant d’admettre aussi que la plupart de ses commandes passent par ce réseau.

« Je m’en sers parce que c’est pratique, mais je ne fais pas la chasse au fololo [ndlr : des followers] », explique à son tour Anna Valentine, illustratrice plasticienne de 44 ans, elle aussi installée à Brest. « J’ai fait mon premier Reel il y a trois jours », affiche fièrement celle qui se présente volontiers comme non initiée sur les réseaux. Elle aussi a été piratée, pour preuve, elle récite de tête l’adresse mail de contact de chez Instagram, marquée au fer rouge dans son esprit. Quand elle déclare le piratage de son compte, elle a une drôle de surprise.

Payer un entremetteur ou payer Meta

Une inconnue – visiblement un bot – lui suggère de contacter un « expert » qui pourra l’aider à récupérer son compte « en un rien de temps ». Un business apparemment juteux, selon une enquête du quotidien Les Échos 6, publiée le 11 décembre. D’obscurs entremetteurs proposent d’activer leur contact chez Meta, moyennant des sommes importantes, parfois plusieurs milliers d’euros, pour récupérer des comptes suspendus. Elle choisira de payer les Meta directement, comme toutes nos interlocutrices. « Pas sûr qu’il y ait eu beaucoup d’humains », se méfie-t-elle, « Le ton était mielleux, mais du miel qui ne colle pas, du miel virtuel. »

« We’re unable to solve your problem », répète à son tour avec une voix robotique Coralie Simmet, 31 ans, artiste grenobloise, qui a récupéré son compte Instagram après deux mois de galères. « Le retrouver a été un vrai soulagement », soupire l’illustratrice, peintre et autrice, « C’est ma vitrine, j’en ai besoin, ça rend vivant mon travail. » Même ses partenariats passés avec des institutions publiques passent par Instagram, à son grand regret. La Grenobloise y voit un point positif, après avoir regardé son temps d’écran. Suite au piratage de son compte, ce temps décroît de moitié : « Je ne prenais plus de photos ni de vidéos, ça ne servait plus à rien. Mais passer moins de temps sur ce téléphone m’a fait du bien, c’était un temps agréable. »

Contactés à plusieurs reprises, les services de Meta n’ont pas répondu à nos questions et nous ont simplement redirigés vers les avantages de leur service Verified.

  1. Groupement d’intérêt public français, qui a pour missions l’assistance des victimes, la mise en place de campagnes de prévention et de sensibilisation à la sécurité du numérique, et la gestion d’un observatoire national du risque numérique permettant de l’anticiper. ↩︎
  2. Rapport de Cybersurveillance, 2022 ↩︎
  3. Rapport de Cybersurveillance, 2023 ↩︎
  4. Les conseils en cas de piratage de compte, 2024 ↩︎
  5. Cybermoi/s 2024 : les Français face aux cybermenaces, 2024 ↩︎
  6. Instagram : le sulfureux business de la récupération de comptes, Les Échos, 11 décembre 2024 ↩︎

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