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EN UN COUP D’OEIL 
- Un lobbying politique sans précédent : 200 millions de dollars investis pour imposer la crypto comme pilier du discours politique aux États-Unis.
- Un pari stratégique réussi : Bitcoin pourrait devenir un actif institutionnalisé, effaçant son image pseudo-dissidente.
- Too Big To Fail : Pour sécuriser son avenir, l’industrie crypto entend se mettre dans les petits papiers de Wall Street et du gouvernement américain, incarnant la nouvelle mouture du capitalisme de sauvetage.
La chercheuse Molly White, figure du courant crypto-sceptique déplie son analyse du moment que traversent les États-Unis, à l'heure où l'industrie crypto s'impose comme le nouveau monstre du lobbying politique.
Nastasia : La campagne ayant mené à la réélection de Donald Trump a été particulière, intense et agressive. Elle reste marquée par une implication sans précédent de l’industrie des cryptos pour faire avancer ses intérêts. Que retenez-vous de ce moment politique ?
Molly White : Cette campagne marque en effet un précédent. La magnitude des investissements réalisés pour faire avancer les intérêts particuliers du ce secteur n’est comparable avec aucun autre moment de l’histoire politique américaine. On parle d’une organisation coordonnée, avec des centaines de millions de dollars répartis entre différents comités d’action politique (PAC), en plus des investissements directs de personnalités et d’organisations pro-crypto (Follow The Crypto).
Plus que ces dépenses, déjà colossales, je retiens aussi le travail de fond qui a été mené pour mettre sur pieds une véritable stratégie de communication et de relations publiques, de façon à médiatiser les positions pro-crypto. Cette stratégie de lobbying a porté ses fruits puisqu’on voit désormais un nombre croissant de membres du Congrès qui font des déclarations en faveur de cette industrie. L’objectif d’insuffler un vent d’optimisme auprès des législateurs et des représentants politiques a donc été rempli. Le futur nous dira quel degré de loyauté ces politiciens auront vis-à-vis de cette industrie qui a contribué financièrement à leur élection (New Yorker).
Nastasia : Effectivement, il semble que l’un des objectifs de cette campagne de lobbying était de faire bouger le curseur, en plaçant Bitcoin non plus comme un or numérique support d’un projet vaguement dissident, mais bien comme un actif robuste, sûr et légitime, à la portée d’un plus grand nombre d’investisseurs. Quelles sont les implications de ce glissement stratégique ?
Molly White : Il est certain que cette industrie s’est très opportunément départie de son vernis idéologique de dissidence. Rappelons qu’à ses origines, Bitcoin était présenté comme un projet de monnaie « résistante à la censure gouvernementale » ou « indépendante des institutions financières ». Ce discours est désormais quasi inexistant, ou alors mobilisé de manière très marginale et opportuniste. Les grandes entreprises de la crypto collaborent désormais avec les agences de régulation, elles gèlent des comptes et actifs si cela leur est demandé, le tout afin d’éviter des sanctions financières (CoinTribune).
L’évolution dans les discours publics est frappante. En 2021, le discours qui prévalait était centré sur Bitcoin et la crypto comme une révolution technologique. On parlait alors d’un nouvel outil utile pour décentraliser les paiements et des multiples possibilités alors ouvertes. On a vu que ces promesses n’ont pas trouvé de concrétisation, l’adoption des crypto-actifs est restée minoritaire et cantonnée à des usages spéculatifs.
Aujourd’hui, le discours est totalement différent. On parle de Bitcoin comme d’un investissement à inclure dans son portfolio, un actif sur lequel les institutions financières s’engagent, en particulier via les ETF Bitcoin. L’effet de cette rhétorique c’est donc de brosser un portrait de Bitcoin comme un investissement légitime, à la portée de Monsieur et Madame Tout-le-monde, plutôt qu’un véhicule spéculatif réservé aux amateurs d’investissements risqués.
Le fait que des membres du Congrès parlent de constituer une réserve stratégique de Bitcoin, ou que le président Trump se félicite de la montée des cours contribue à cette campagne globale de RP qui vise à une institutionnalisation de Bitcoin et des crypto-actifs.
Les citoyens ordinaires pourraient subventionner indirectement cette économie-casino
Nastasia : Le chercheur David Golumbia, dans un livre d’une remarquable prescience publié en 2016, The Politics of Bitcoin, avait déjà mis au jour les fondations politiquement réactionnaires de l’industrie crypto. Aujourd’hui, celle-ci est en passe d’avoir une influence politique sans précédents. Quelles sont les perspectives à moyen terme dans ce paysage, une accélération vers le pire ou un sursaut collectif ?
Molly White : Effectivement, nous assistons à une validation des thèses de David Golumbia. Le virage pour s’éloigner des supposés discours émancipateurs et libéraux associés à la Silicon Valley a été enclenché. Les masques tombent. Désormais, la religion de l’argent et du pouvoir est affichée sans ambages, au même titre que l’agenda politiquement réactionnaire de toute une frange des investisseurs et des patrons de la tech (The New Republic).
Ce qui m’inquiète aujourd’hui c’est le retournement qui ne manquera pas de suivre cette embellie dans les cours. L’histoire de la crypto nous montre que les cycles d’euphorie sont immanquablement suivis de corrections, souvent violentes. En dépit de l’emballement actuel, les schémas de type Ponzi ont tous un point de rupture. L’enjeu n’est pas de savoir si cela arrivera, mais bien quand. Et cela sera dévastateurs pour les petits-porteurs, ceux qui ont rejoint le train en marche les derniers.
Nastasia : Quelles en seraient les conséquences ?
Molly White : La véritable inconnue réside dans la réaction de l’industrie à cette correction. Sera-t-elle parvenue à s’institutionnaliser suffisamment pour que le choc soit absorbé par les BlackRock, les Fidelity mais aussi par le gouvernement lui-même, si Bitcoin devient une réserve stratégique ? Mon inquiétude est que, si cette stratégie Too Big To Fail s’applique, ce sont les citoyens ordinaires qui subventionneront indirectement l’implosion de l’économie-casino de la crypto.
