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extractivisme technologique

L’extractivisme technologique, nouvelle force néocoloniale ?

EN UN COUP D’OEIL

  • L’impact caché du numérique : La production de nos gadgets high-tech mobilise plus de 60 métaux et des méthodes minières destructrices.
  • Coût humain et environnemental : Exploitation des travailleurs, violences en RDC, et destruction des écosystèmes, comme le désert d’Atacama.
  • Un néo-colonialisme numérique : L’extractivisme des ressources dans le Sud alimente la consommation numérique des pays occidentaux, au mépris des populations locales.
Ordinateurs, smartphones, smartwatch, tablettes, téléviseurs, consoles de jeu, trottinettes, vélos et voitures électriques, volets électriques, panneaux solaires, caméras, détecteurs divers… Pour être fabriqués, nos outils numériques requièrent une grande variété de métaux, présents en plus ou moins grande quantité dans la croûte terrestre (ADEME, Next).

En moyenne, un simple smartphone contient plus de 60 métaux du tableau périodique des éléments. Il requiert par ailleurs 70 kg de matière pour être produit, soit environ 500 fois son poids (Commissariat à l’énergie atomique – CEA).

+ Concrètement, les mines qui permettent d’extraire ces matériaux consistent, entre autres méthodes, à faire sauter à la dynamite le haut de montagnes, à creuser le sol ou le sous-sol, et, le plus souvent, à créer de vastes bassins de déchets toxiques, faute de savoir comment les éliminer. Alors que l’idée de mine responsable émerge dans l’espace public, l’autrice de La ruée minière au XXIe siècle Célia Izoard parle d’une « radicalisation », bien plus que d’une « responsabilisation », du secteur minier. (Algorithmique, Blast)

+ La grande majorité des mines existantes sont ouvertes dans des pays lointains de ceux, occidentaux, où l’essentiel des déchets numériques sont produits : en 2023, 73,91 % du cobalt est extrait en République démocratique du Congo, 77 % du graphite et 67 % des terres rares sont produites en Chine, 33 % du lithium est extrait au Chili, 36 % du Manganèse en Afrique du Sud, 50 % du Nickel en Indonésie… (Our world in data)

+ En termes d’énergie, les États-Unis et la Chine s’appuient beaucoup sur des mines de charbon. Quant à l’énergie nucléaire, elle nécessite de l’uranium, dont les principaux fournisseurs européens étaient le Canada, la Russie, le Kazakhstan et le Niger en 2023 (Euratom).

Au coût humain désastreux

Selon les pays et les contextes locaux, les implications de ces mines diffèrent, mais se traduisent généralement par des coûts humains élevés – ne serait-ce que parce que l’industrie minière concentre 8 % des accidents mortels au travail, alors qu’elle n’emploie que 1% de la main-d’œuvre. (La ruée minière au XXIe siècle, recension d’Hubert Guillaud)


+ Dans le désert d’Atacama, à l’intersection du Chili, de la Bolivie et de l’Argentine, les mines de lithium fonctionnent généralement par évaporation des saumures présentes sous les salins. La méthode consiste à pomper l’eau salée contenant le lithium pour la laisser s’évaporer. (AP)

+ Qualifiée de « triangle du lithium », la zone géographique concernée est principalement habitée par des populations indigènes. En épuisant les ressources d’eau de la région et en attirant l’attention internationale sur les mines, l’activité minière met leur mode de vie en danger. (NRDC)

+ Elle provoque aussi le déclin direct de la biodiversité, à 80 % endémique, dont celle des flamants roses. (Reuters)

Autre exemple : en République démocratique du Congo, dans un contexte de conflits armé historiquement lié à la colonisation, l’extraction de cobalt et de cuivre entraîne expulsions de force de villages entiers, des incendies volontaires, des agressions sexuelles et des viols. (Histoires Crépues, Amnesty International)

+ Dans les mines de RDC comme du Nigeria, la population travaille pour des salaires si faibles, de 1 à 2 dollars par jour, que le chercheur Siddharth Kara parle d’esclavage des temps modernes. Dans de nombreux cas, cette industrie s’appuie aussi sur le travail d’enfants. (Amnesty International, AP, NPR)

+ Fondée par David Maenda Kithoko, l’association Génération Lumière tente de faire prendre conscience aux Français les coûts concrets qu’ont leurs outils numériques sur les populations de RDC. (Reporterre, Techologie)

Colonialisme numérique

Au sujet de son accès aux mines de lithium boliviennes, Elon Musk déclaré « We will coup whoever we want, deal with it ! » 1, en réponse à des accusations sur le rôle des États-Unis dans le coup d’État contre Evo Morales, en Bolivie. Le gouvernement suivant s’est montré très ouvert à l’extraction des ressources en lithium du pays par des acteurs étrangers, dont Tesla. (The Guardian, People’s World)

+ « Extractivisme numérique », « colonialisme de données » : la pratique consistant à extraire de telles quantités de métaux rares dans des pays du Sud pour alimenter la consommation numérique des pays du Nord est de plus en plus régulièrement mise en parallèle avec celle consistant à extraire des données des activités numériques des internautes, et analysée comme une nouvelle forme de colonialisme des pays occidentaux. (Pollicy, Data Grab : the new colonialism of Big Tech and how to fight back)

+ Cette logique de domination est rendue très évidente dans la volonté affichée par le Président des États-Unis d’ « acheter le Groenland ». En sous-main, des entrepreneurs de la tech cherchent à s’installer sur place pour avoir accès aux ressources que la fonte des glaces rend mieux accessibles, tout en présentant leur projet comme une manière d’aider les populations locales à prendre leur indépendance du Danemark. (TechCrunch, Dryden Brown sur X, BBC)

Les enjeux créés par l’extractivisme numérique touche aussi l’Europe. Depuis le début du mois de février, la Serbie est traversée par les plus grosses manifestations qu’elle ait connues depuis la fin des années 1990, pour protester contre la corruption. Mais l’Union européenne est pour le moment restée silencieuse : elle considère le pays comme un allié essentiel dans les Balkans… et continue de s’intéresser à un projet de mine de lithium très contesté sur place. (Euractiv, Le Monde)

  1. « Nous organiserons un coup d’État contre qui nous voulons, faites avec ! » ↩︎

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