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L’IA, un ogre énergétique qui menace le climat ?

EN UN COUP D’OEIL

  • Un appétit énergétique alarmant : L’essor de l’IA pourrait doubler la consommation électrique des data centers d’ici 2026, un défi écologique majeur.
  • Illusion du “vert” : Les promesses de cloud écologique masquent un bilan carbone opaque et des effets rebonds amplifiant l’empreinte environnementale.
  • Régulation en quête d’efficacité : Entre greenwashing et timides lois comme l’AI Act, l’encadrement du secteur peine à répondre à l’urgence climatique
Entre consommation électrique galopante et empreinte carbone démesurée, l'IA pourrait bien devenir le prochain cauchemar climatique si rien n'est fait pour encadrer son développement. Face à ce défi, entreprises et régulateurs cherchent des solutions, non sans contradictions.

Comme celui d’un Gargantua moderne, l’appétit énergétique de l’IA ne cesse de croître. L’Agence Internationale de l’Énergie indique dans un rapport publié en janvier 2024 1 que la demande électrique des data centers, dopée notamment par l’essor de l’IA (et d’ores et déjà largement affectée par les cryptomonnaies), devrait doubler entre 2022 et 2026, passant de 460 TWh à potentiellement 1050 TWh. Rien de moins que l’équivalent de la consommation de nos voisins outre-Rhin.

Aux États-Unis, le Boston Consulting Group estime que la part des data centers dans la consommation électrique totale du pays pourrait tripler d’ici 2030, passant de 2,5% à 7,5% pour atteindre les 390 TWh2. Des chiffres qui n’annoncent rien de bon quand on sait que la lutte contre le réchauffement climatique nécessite justement une réduction drastique de nos émissions de gaz à effet de serre et une forme de modération sur les extractions de minerais.

Même Sam Altman, grand manitou d’OpenAI, évoque à demi-mot l’ampleur du problème. “On appréhende pas encore les véritables besoins en énergie de cette technologie”, prévient-il 3. Là encore, problème, porté par un technosolutionnisme forcené, l’américain n’envisage pas du tout la sobriété comme une solution d’avenir. Bien au contraire, c’est vers la fusion nucléaire et ses récentes évolutions qu’il tourne ses espoirs 4. Autant dire que de ce côté, il va lui falloir patienter tant les avancées dans le domaine ne sont pas réellement significatives. Il faudrait d’ailleurs qu’un consensus se fasse autour du nucléaire, qui, même s’il regagne du poil de la bête dans le cœur des dirigeants internationaux, ne fait pas l’objet de débats démocratiques aboutis.

L’illusion du cloud et de l’IA “verte”

Face à cette boulimie énergétique, certaines entreprises voient dans le cloud une solution miracle. Mais cette vision est trompeuse. Si les géants du cloud mettent en avant leurs efforts en matière d’énergies renouvelables, ils restent peu transparents sur l’empreinte réelle de leurs infrastructures 5. On ne connait d’ailleurs pas vraiment le bilan carbone des GAFAMs ni s’ils prennent en compte la fabrication des data center dans ce bilan 6. La communication officielle met l’accent sur l’énergie verte et l’arrêt de la consommation d’énergies fossiles, mais, en réalité, rien ne démontre que les efforts en la matière soient réels. Cette opacité pose question, d’autant que l’effet rebond guette : le cloud va induire une augmentation des usages 7. Conscientes des critiques, les entreprises tentent de verdir leur image en misant sur le concept d'”IA for Green”. L’idée ? Utiliser l’IA pour optimiser les processus et réduire l’empreinte carbone dans divers secteurs. Il suffit d’ailleurs de jeter un œil à la page de remerciement du rapport 8 du Cigref, une coalition d’entreprises privées et d’administrations publiques pour se rendre compte que nombre d’acteurs ne sont pas les plus vertueux dans le domaine de l’environnement. On y retrouve notamment Airbus, Bouygues, Google ou Michelin, dont on rappelle que ces seuls acteurs contribuent pour large partie à l’émission de GES mondiale .

Un réveil du législateur ?

Face à l’urgence climatique, certaines voix s’élèvent pour appeler à plus de sobriété numérique. Les propositions “rationnelles” s’enchainent et les rapports d’entreprises se succèdent les uns aux autres pour promouvoir des actions en faveur de l’environnement. Le greenwashing 9 a la cote et nombre d’entreprises modifient leur communication 10 pour adapter leur message aux préoccupations contemporaines tout en rassurant les investisseurs. Les régulateurs tentent de répondre à ces enjeux. La Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) en Europe, ou encore l’AI Act, visent à encadrer les pratiques. Mais leur efficacité reste à prouver 11.

L’évaluation du poids environnemental de la tech reste difficile, mais pas impossible et certains tentent d’évaluer l’impact des industries numériques. À titre d’exemple, chaque année, entre 20 et 50 millions de tonnes de déchets électroniques s’accumulent, représentant 5 % des déchets solides mondiaux (UNEP, 2006) . En 2007, aux États-Unis, 3,01 millions de tonnes de ces déchets ont été générées, mais seulement 13,6 % ont été recyclées (USEPA, 2007). La production d’un seul ordinateur de bureau et moniteur consomme 530 livres de combustibles fossiles, 48 livres de produits chimiques et 1,5 tonne d’eau.

Pente glissante

Depuis, les choses évoluent et pas dans le bon sens. ChatGPT, à lui seul, consomme déjà l’équivalent énergétique de 33 000 foyers, et chaque recherche propulsée par l’IA requiert de quatre à dix fois plus d’énergie qu’une recherche classique. L’impact ne s’arrête pas là : les besoins en eau pour refroidir les centres de données explosent. En 2022, OpenAI a utilisé 6 % des réserves d’eau de West Des Moines, et d’ici 2027, la demande en eau pour l’IA pourrait atteindre la moitié de celle du Royaume-Uni. Ces chiffres sont d’autant plus alarmants qu’ils reposent souvent sur des estimations, les entreprises refusant de divulguer leurs données complètes.

Pendant ce temps, l’industrie se dérobe à ses responsabilités, misant sur des solutions hypothétiques, comme l’énergie nucléaire tout en privilégiant les énergies traditionnelles plutôt que sur des pratiques réellement durables. À ce rythme, les systèmes d’IA géants pourraient consommer autant d’énergie que des nations entières.

  1. Global electricity demand rose moderately in 2023 but is set to grow faster through 2026, AIE (agence internationale de l’énergie), janvier 2024 ↩︎
  2. The Impact of GenAI on Electricity: How GenAI is Fueling the Data Center Boom in the U.S, BCG, 14 septembre 2023 ↩︎
  3. OpenAI : pour Sam Altman, le développement de l’IA va nécessiter une révolution énergétique, clubic, 17 janvier 2024 ↩︎
  4. Altman’s $3.7 Billion Fusion Startup Leaves Scientists Puzzled, Energy Connects, 18 juillet 2024 ↩︎
  5. The Silent Burden Of AI: Unveiling The Hidden Environmental Costs Of Data Centers By 2030, Forbes, 16 août 2024 ↩︎
  6. Data center emissions probably 662% higher than big tech claims. Can it keep up the ruse?, The Guardian, 15 septembre 2024 ↩︎
  7. Impact environnemental du numérique, Didier Müller, avril 2022 ↩︎
  8. AI for Green and Green AI, Cigref, 10 avril 2024 ↩︎
  9. L’empreinte environnementale du numérique, ACERP, 28 novembre 2024 ↩︎
  10. Microsoft accused of “greenwashing” due to fossil fuel partnerships, DataCenterDynamics, 1 novembre 2024 ↩︎
  11. The EU AI Act and environmental protection: the case for a missed opportunity, Heinrich Böll Stiftung, 8 avril 2024 ↩︎

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