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L’art IA est-il fasciste ?

EN UN COUP D’OEIL

  • Miyazaki détourné : L’IA pastiche son style pour des visuels parfois racistes, suscitant un tollé mondial et une indignation artistique.
  • Une zone grise légale : OpenAI exploite le flou du droit d’auteur pour recycler des œuvres emblématiques sans en assumer la portée.
  • Art au service du pouvoir : L’extrême droite s’approprie l’IA pour imposer une vision idéologique sous couvert de créativité technologique.L’IA pastiche son style pour des visuels parfois racistes, suscitant un tollé mondial et une indignation artistique.
Le lancement de la dernière version de ChatGPT-4o, qui intègre un générateur d’images permettant de pasticher le style de grands maîtres comme Hayao Miyazaki a relancé la polémique sur le statut de l’art généré à partir d’IA. Pour les critiques, la messe est dite : l’IA sert avant tout un art propagandiste et fascisant. 

Le 26 mars 2025, OpenAI publie une actualisation de son programme Chat GPT. La version intègre un générateur d’images permettant de pasticher le style du maître de l’animation Hayao Miyazaki, à qui l’on doit des chefs d’œuvres comme Mon voisin Totoro (1988) ou Le voyage de Chihiro (2001)

« Une insulte à la vie même »

+ En quelques jours, c’est la déferlante. Le réseau X déborde d’images « dans le style Ghibli » générées par des anonymes grâce au programme (@HeyBarsee via X) Dont une, posté via le compte officiel de la Maison Banche, qui représente un agent de l’immigration passant les menottes à une femme dominicaine, en pleurs. Le dessin, en plus d’être une contrefaçon de qualité douteuse, interroge sur le statut de l’image, et surtout celle de son émetteur (The Atlantic).

+ L’effet de masse est tel que la vague porte jusqu’au Japon et rejaillit sur le fondateur des mythiques studios d’animation. En 2016, celui-ci avait en effet comparé un dessin généré par IA à « une insulte à la vie même ». Dans le film, des employés du Studio Ghibli lui montrent une créature informe, désarticulée, qui marche sur la tête. Le cinéaste semble offensé par cette vision, qui lui fait penser à un ami à lui, qui présente un lourd handicap physique. « Qu’importe qui a créé cette chose, il n’a aucune idée de ce qu’est la douleur », enchaîne-t-il, perplexe. Avant de cingler : « je n’utiliserai jamais cette technologie dans mon travail. » (Wikipedia)

Ghibli out… So Ghibli in ?

Hayao Miyazaki est connu pour sa minutie, il a reconnu avoir passé jusqu’à six années à dessiner les animations de ses films. En comparaison, le programme d’OpenAI ne met que quelques secondes à les reproduire. L’art IA serait-il une forme de pillage automatisé et normalisé ?

+ En réponse à la controverse, la ligne de défense d’OpenAI est maigre. D’après l’entreprise, son programme ne copierait pas la patte singulière de l’artiste mais plutôt le style de son studio. Or, dans le droit, le style n’est pas protégé par le copyright. La société américaine tire donc parti d’une zone grise juridique (TechCrunch).

+ Cette pirouette n’occulte pourtant pas le problème central : si la machine peut reproduire le trait d’un artiste, c’est bien qu’à l’entrée elle a ingurgité des millions d’images issues des studios Ghibli. Des œuvres pourtant protégées par le droit d’auteur (404media)

+ Brian Merchant, créateur de la newsletter technocritique Blood in the Machine, résume très bien l’ironie de la situation. Un homme a priori opposé à l’utilisation de l’IA générative, qu’il qualifie de déshumanisée et déshumanisante, devient un même promotionnel pour une entreprise de l’IA. Et pourtant, « qui en a quelque chose à faire du sentiment de l’artiste à ce propos ? », interroge le journaliste. Une façon de souligner à quel point le rapport de force semble injustement en la défaveur du créateur (Blood in the Machine)

Confusionnisme

« Je préfère être un cochon plutôt qu’un fasciste », signait Marco, héros d’un des premiers films d’animation du maître, Porco Rosso (1992). Copier Miyazaki pour produire des visuels sadiques est pourtant un contresens, une esthétique coupée du message habituellement associé à ce trait caractéristique.

+ Ce confusionnisme est d’ailleurs cultivé par la société OpenAI elle-même. Dans sa présentation de GPT-4o, l’entreprise montre ainsi une photographie hyper-réaliste d’un Karl Marx, les bras chargés de sacs de courses, sur le parking d’un Mall of America (OpenAI)

+ D’autant que la question du pillage artistique ne semble pas préoccuper Sam Altman. Epaulé par Google, OpenAI s’emploie à pousser un décret élargissant l’accès aux données « scrapables », dans le cadre du plan « Stargate » de Trump pour soutenir l’industrie de l’IA (The Verge)

Un art fasciste

Sur le site New Socialist, Gareth Watkinsi déclare sans ambage que l’art IA est un art fasciste. Pour lui, « l’absence d’humain n’est pas un bug, mais bien une caractéristique de l’art IA ». C’est précisément parce que l’IA générative permet de réaliser des représentations aseptisées et dépourvues de sensibilité qu’elle peut servir une rhétorique fasciste.

+ Il voit dans les générateurs d’images un moyen pour l’extrême-droite, qui a déserté les sciences humaines et l’art, de braconner sur ces territoires desquelles elle est exclue. « L’art IA, telle que pratiquée par la droite, nous dit qu’il n’y a aucune règle sauf le pur exercice du pouvoir par un groupe sur un autre. Ça nous dit que le seul moyen d’apprécier l’art est de savoir qu’il peut blesser quelqu’un. » (New Socialist)

Donner de la chair aux fantasmes

L’IA est même un outil idéal pour donner de la chair aux fantasme de l’extrême-droite. En témoignent les multiples utilisations par des partis xénophobes et racistes.

+ En Italie, la Ligue du Nord, le parti d’extrême-droite de Matteo Salvini, a ainsi diffusé une fausse image d’homme barbu enceint afin de servir sa rhétorique islamophobe (La Repubblica) ; au Royaume-Uni c’est une image d’hommes musulmans en train de se moquer d’une femme blonde, drapée de l’Union jack, qui a été postée par Ashlea Simon du parti néofasciste Britain First (Ashlea Simone via Instagram).

+ Rappelons qu’en France, la première vidéo politique française entièrement générée par IA a été diffusée par les équipes de Reconquête, le parti d’Eric Zemmour, en mai 2023. Les images montrent une église prise d’assaut par des immigrés (La Dépêche). Depuis, le parti d’extrême-droite utilise régulièrement ces outils, comme lors de la campagne législative de juillet 2024 (Le Monde). Ironie ultime, #Lecouragedelavérité est le hashtag qui accompagne ces représentations biaisées d’un réel fantasmé.

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