EN UN COUP D’OEIL
- La Défense comme relais de croissance du secteur IA : OpenAI et Anthropic signent des partenariats avec l’industrie militaire pour développer des armes intelligentes.
- Une guerre sans cadre éthique : L’absence de régulation alimente des pratiques inquiétantes, de la surveillance massive aux frappes automatisées.
- Vers une armée robotisée : Avec un tiers des forces américaines prévu sous contrôle IA d’ici 2039, l’escalade inquiète les experts.
C’est l’un des signaux forts de l’année 2024. Passés jusque là dans la discrétion, les accords commerciaux entre les grandes entreprises technologiques et les sociétés militaires du secteur de la Défense s’affichent désormais au grand jour. Et, sur les terrains de guerre, l’IA s’affirme comme une arme incontournable.
L’un des derniers en date est le partenariat conclu entre OpenAI et le fabricant d’armes de défense Anduril Industries. Les solutions d’intelligence artificielle du premier seront désormais intégrées dans les systèmes de défense anti-drones du second. Ceux-là même utilisés par l’armée américaine (Washington Post).
+ Ce contrat illustre un changement de cap important chez OpenAI. En Janvier 2024, l’entreprise modifie ses statuts afin d’autoriser les usages militaires de ses algorithmes et modèles de langage (Wall Street Journal).
+ Un virage militariste qui se retrouve chez une autre société-phare du secteur de l’IA générative, Anthropic. Soutenue par la Big Tech Amazon, elle a également signé des accords commerciaux avec le département américain de la Défense (L’Usine Digitale).
Une union d’enfer
Union de circonstance ou mariage de raison ? Un peu des deux, mon général. Historiquement, l’industrie de la tech est née de la cuisse du complexe militaro-industriel américain. Sa croissance a toujours été dopée par les subventions publiques accordées par le gouvernement et les contrats noués avec ses agences. En témoigne le succès et l’implantation de la société Palantir Technologies, qui profite à plein de l’union entre Tech et Défense.
Mise sur pieds en 2003 avec le soutien financier de la CIA, la société cofondée par Peter Thiel, Alex Karp et Stephen Cohen équipe les agences du renseignement américain. Mais ses logiciels de surveillance sont aussi utilisés par des multinationales comme par des gouvernements, de la démocratie libérale au régime autoritaire (Le Nouvel Observateur).
+ Au mois de novembre dernier, sitôt Donald Trump réélu, le cours de l’action de Palantir bondissait, éclipsant au passage celui de l’un des mastodontes du secteur militaro-industriel américain, l’armateur Lockeed Martin (MSN finance). Avec la crypto, la Tech et la Défense sont donc les secteurs qui profiteront le plus du second mandat du milliardaire (The Intercept).
+ Aujourd’hui, Palantir Technologies collabore directement avec Anthropic et Anduril, et indirectement avec OpenAi (qui a noué un partenariat avec Anduril). La boucle est bouclée (Diddy Das via X).
+ Officiellement, l’union de ces industries se célèbre au nom de la sécurité nationale ainsi que la souveraineté des États-Unis. Mais, pour l’heure, le grand absent est le cadre éthique et juridique pour encadrer le déploiement d’une armée perfusée à l’IA et aux technologies algorithmiques (New York Times).
Bombardez-les tous !
L’IA est déjà largement présente au cœur des théâtres de guerre. L’un des enjeux éthiques étant que les modèles utilisés pour armer des drones, cibler des opposants politiques et générer des frappes à distance sont entrainés avec nos données personnelles, souvent à notre insu.
+ Une récente enquête a révélé que les données géospatiales générées par les utilisateurs du jeu Pokemon Go servent à alimenter une IA spatiale, dont le possible usage militaire inquiète. L’enjeu stratégique est la qualité de géolocalisation qu’offre l’expérience Pokemon Go, avec plus de 10 millions de lieux scannés et avec un million de nouveaux scans ajoutés chaque semaine (PC Mag).
+ Au Proche-Orient, la Palestine fait office de “laboratoire” de cette nouvelle guerre hybride, estime le journaliste américain Anthony Lowenstein (The Palestine Laboratory). Le gouvernement israelien s’adonne depuis des années à une surveillance méthodique de la population, officiellement pour repérer des terroristes, grâce à des logiciels de reconnaissance faciale (New York Times).
+ Le média indépendant israélien +972 a mené un important travail pour documenter l’usage militaire de l’IA par Tsahal, en mettant notamment en lumière les différents programmes d’automatisation sur lesquels s’appuie l’armée israélienne à Gaza. Comme le programme Lavender, utilisé pour automatiser des frappes sur des cibles politiques (+972 magazine). Mais aussi Gospel, Depth of Wisdom et FireFactory (Libération).
Le boom des investissement Defense Tech
Cocorico ? En France, Comand.ai se positionne comme l’alternative souveraine à Palantir. La société vient d’annoncer une levée de fonds de 8,5 millions d’euros. Elle compte parmi ses investisseurs le fonds Kima Ventures de Xavier Niel (Hors Normes). À lui seul, le secteur Defense Tech a capté 1 milliards d’euros d’investissements en 2024 (The Next Web).
+ La France s’est dotée au mois de mars 2024 d’un Agence ministérielle de l’intelligence artificielle de défense, l’AMIAD (Ministère des Armées). Cette structure est dotée d’un budget prévisionnel de 2 milliards d’euros. Ce qui n’est qu’une paille en comparaison avec la prévision qu’un tiers de l’armée américaine pourrait être robotisée et contrôlée par l’IA d’ici 2039 (Armées.com via France Inter).
+ Mais la prolifération de ces armes technologiques se fait aujourd’hui en dehors de toute supervision, et à la discrétion de chaque pays. Un état de fait qui inquiète la chercheuse Laure de Roucy-Rochegonde, qui consacre un essai à la guerre à l’ère de l’intelligence artificielle et analyse ce sujet par le prisme du droit et des sciences politiques. (Presses Universitaires de France).