La fin de l’ère des liens hypertextes ?

Le web est mort et il ne le sait pas encore. Peu avant que la hype au sujet de l’IA générative n’emporte la raison des techno-optimistes les plus acharnés, c’était le Web 3 qui agitait l’imagination. Évolution du Web contemporain, cette nouvelle mouture du Net qui reposait sur la blockchain promettait la décentralisation des rapports et la déplateformisation. Une révolution devait s’emparer de nos vies numériques et renverser la domination des GAFAMs, renforcer les échanges directs entre utilisateurs en les sécurisant davantage et développer un nouveau type de relation économique. 

Nous étions aveugles à ce qui est en train de se dérouler devant nos yeux. Le lien hypertexte, reconnaissable à son bleu et son sous-lignage caractéristiques, allait subir l’attaque la plus massive de son histoire par ceux qui en avaient tiré leur force. À l’occasion de son grand show annuel des développeurs en mars dernier, Google annonçait en grande pompe le Google AI overview. Une fonctionnalité, d’abord réservée aux États-Unis puis étendue à différents pays quelques mois plus tard, dont l’objet consiste à répondre aux requêtes des utilisateurs en résumant les informations collectées sur le web.

En gros, une recherche sur les élections législatives de 2024 en France ne déboucherait plus sur une liste de liens menant directement aux sites des médias ayant publié un article sur le sujet, mais à un résumé rédigé par Gemini, l’intelligence artificielle de Google. La fonctionnalité représente à ce jour à peine 7 % des requêtes globales (chiffres de juillet par BrightEdge Research) et certains éditeurs ont déjà constaté une baisse de 8 % du trafic provenant de Google.

Et Google n’est pas tout seul à emprunter ce chemin. D’autres comme Qwant ou les navigateurs Arc, Edge ou Brave intègrent nativement la fonctionnalité. Meta (Facebook, Instagram, etc.) bâillonne même les sites de presse tout en exploitant leur contenu à l’aide de ce procédé. Quand jusqu’il y a peu, google et consorts étaient le point de départ d’une aventure vers une myriade de destinations, aujourd’hui, c’est à la fois un point de départ et une destination. On se rend sur Google pour obtenir l’info qui nous manque et pour idéalement, ne plus en sortir, prisonnier d’une boucle que nous plébiscitons dans un impensé commode. 

Le résumé de résultats a donc pour effet de capturer les utilisateurs de la plateforme et de bloquer leur progression vers d’autres horizons. Et ce n’est pas anodin. Déjà en situation de quasi-monopole, Google use de sa position centrale dans la vie des utilisateurs pour maximaliser la rétention des usages et concentrer l’expérience du web sur ses pages. Meta, X ou Linkedin tentent la même manœuvre en offrant des services toujours plus complets créant ainsi des poches privatisées de l’espace numérique où les rencontres, la sérendipité des recherches ne sont plus organisées, mais contrôlées, voire combattue.

Dans cette contraction programmée de la circulation des usagers du web, dans cet enkystement des contenus autour de plateformes hypercontrôlées par des entreprises mues par l’optimisation de leurs revenus, c’est un idéal d’ouverture du web qui s’évanouit. Né alors, une réalité numérique ou la domination de quelques-uns permet de maitriser l’accès aux contenus, aux informations, à la parole du plus grand nombre. Une forme de confiscation du commun au nom de l’optimisation économique qui ne laisse d’espace qu’à peu de fantaisie, de créativité et d’humanité. 

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