Garder un oeil critique sur la tech

Cartographie des résistances technocritiques : quatre familles contre l’IA et son monde

EN UN COUP D’OEIL

  • Une opposition fragmentée : Les critiques de l’IA se répartissent entre décroissants, hacktivistes, anarcho-primitivistes et techno-nationalistes, aux visions parfois opposées.
  • Des résistances radicales : De la défense des libertés numériques au sabotage d’infrastructures, certains groupes prônent l’action directe contre l’expansion technologique.
  • L’IA, un enjeu politique : L’extrême droite adopte une critique souverainiste de l’IA, dénonçant une dépendance aux GAFAM et aux puissances étrangères.
Militants décroissants, technocritiques radicaux, hacktivistes ou encore souverainistes de droite : les critiques de la tech ne forment pas un bloc homogène, mais un échiquier idéologique fracturé. Tour d'horizon des principales familles qui s'opposent à l’expansion de l’IA et de son monde.

+ Dans le champ de la « post-croissance », la critique des IA s’inscrit dans une remise en cause plus large du capitalisme contemporain. Loin des promesses d’une transition écologique pilotée par l’innovation, celles et ceux qui l’analysent soulignent le coût énergétique du développement de l’IA et son impact sur l’extraction des ressources naturelles. Pour Philippe Bihouix, auteur de L’Âge des low-tech, la fuite en avant technologique est une « impasse » : au lieu de réduire notre empreinte, elle accroît notre dépendance à des infrastructures lourdes et à des chaînes d’approvisionnement mondialisées (Le Monde).

+ Après des années de dénigrement acharné, la décroissance donne enfin lieu à des débats constructifs. L’économiste Timothée Parrique, auteur de « Ralentir ou périr. L’économie de la décroissance », propose un cadre pour une société post-croissance en s’appuyant sur des travaux autour de la justice sociale, des coopératives ou de l’économie stationnaire. Il plaide pour une réduction de la production technologique et une réorganisation économique fondée sur la sobriété (La Vie des Idées).

+ À quoi ressemblerait une société postcapitaliste, débarassée de l’impératif de croissance où les nouvelles technologies joueraient un rôle mineur ? Kohei Saito, philosophe marxiste japonais et auteur du best-seller Moins ! La décroissance est une philosophie , propose une relecture écologiste de Marx et propose un « communisme décroissant ». En dénonçant une croissance technologique indissociable d’un capitalisme prédateur et insoutenable, le terme communisme chez Saito traduit une société axée sur les communs, les technologie ouvertes, l’autonomie locale (The Atlantic).

Une perspective que l’on retrouve dans le dernier essai de Cédric Durand, Faut-il se passer du numérique pour sauver la planète ? à paraître le 14 mars aux éditions Amsterdam.

Hacktivisme et gauche radicale : défendre les libertés numériques et saboter l’infrastructure

Au sein de cette famille, la critique prend une autre tournure, celle de la lutte contre la surveillance de masse et l’exploitation numérique des travailleurs. Le point de départ est un constat : le développement de l’économie du numérique induit une transformation du capitalisme contemporain.

+ L’ancien ministre grec Yanis Varoufákis dans Les Nouveaux Serfs de l’économie, n’est pas le premier à mobiliser le concept de « féodalisme ». On la trouve déjà dans Radical Markets d’Eric Glen Weyl et Eric Posner, et surtout dans Technoféodalisme de l’économiste Cédric Durand. Ce dernier explique comment la « nouvelle économie » a en fait accouché d’un nouvel âge de la rente et du monopole, des caractéristiques propres aux sociétés féodales (Usbek&Rica).

Ces auteurs s’inscrivent dans le sillage de l’idée de « reféodalisation » de la sphère publique esquissée par Jürgen Habermas et développée par le juriste Alain Supiot dans La Gouvernance par les nombres, un essai sur le pouvoir normatif de la donnée.

+ Des collectif comme La Quadrature du Net dénoncent une automatisation au service d’un capitalisme de la surveillance, où les politiques publiques sont inféodées aux grandes entreprises technologiques. Loin de l’engouement qui s’est diffusé lors du Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle, la branche française de l’association Pause IA, lancée en septembre 2024, milite pour un encadrement du secteur et un moratoire sur le développement des IA génératives évoluées (Synth ; Next).

+ Des syndicats émergent aussi contre les abus de l’IA dans l’économie des plateformes. Le Syndicat africain des modérateurs de contenu lutte contre les conditions de travail des modérateurs sous-payés, invisibilisés derrière les algorithmes (Le Monde). Ces combats rejoignent les analyses de l’historien François Jarrige, qui rappelle que chaque innovation a rencontré des résistances, souvent justifiées par des enjeux sociaux et environnementaux majeurs (Courrier International).

+ Parmi ces résistances, les néo-luddites, héritiers des ouvriers du 19e siècle qui sabotaient les machines, reviennent sur le devant de la scène. Certains groupes radicaux n’hésitent pas à passer à l’action directe, en sabotant physiquement des infrastructures technologiques jugées nuisibles, comme les centres de données ou les antennes 5G (Reporterre).

L’axe anarcho-primitiviste : résistance et lutte armée

+ Interent peut-il encore être sauvé ? Dans son essai sans concession « Internet ou le retour à la bougie », le musicien et essayiste Hervé Krief, propose une vision critique et radicale du monde numérique (Mais où va le web ?) En mobilisant Charbonneau, Ellul, Mumford jusqu’à Kaczynski (alias Unabomber), il affirme qu’Internet enferme l’humanité dans un modèle prédéterminé où la technologie décide des usages et des comportements.

Krief est un des rare en France à revendiquer une filiation idéologique avec Theodore Kaczynski, l’homme ayant tué trois personnes et fait 23 blessés dans une série d’attentats au colis-piégé aux États-Unis, entre 1978 et 1995, au nom de d’une résistance armée la société technologique et industrielle. Il a fini ses jours en prison (Le Monde).

+ Dans cette famille, le groupe grenoblois Pièces et Main d’Œuvre (PMO) occupe une place singulière. Les auteurs du collectif déploient une dénonciation radicale de la classe dominante « à abattre ». Celle-ci est à la fois capitaliste au sens classique et technocratique. S’ils dénoncent depuis des années le complexe techno-industriel, la question de la PMA et de la GPA s’inscrivent aussi dans leur critique de la technologie au nom d’une défense de la « naturalité ». Un brouillon idéologique de nature réactionnaire qui les conduits à être à la fois proche des milieux anarchistes, tout en se faisant le relais des argumentaire de la Manif pour tous (Mais où va le Web ?).

+ Autre collectif plus récent, Résistance Anti-Tech, a récemment fait parler de lui en occupant la scène du Contre-Sommet de l’IA, le 10 février à Paris, interrompant une table ronde pour dénoncer les dérives de l’intelligence artificielle. Une action qui illustre une tendance croissante : le refus frontal de la technologie en tant que structure oppressive et totalitaire. La filiation idéologique avec Kaczynski est officiellement revendiquée (Reporterre).

L’extrême droite : une critique de l’IA sous prisme techno-nationaliste

+ À l’autre extrémité du spectre politique se développe aussi dans les cercles souverainistes une critique du développement numérique. Des figures comme Bertrand Leblanc-Barbedienne, à la tête du think tank Souveraine Tech, plaident pour une IA nationale affranchie des GAFAM et des BATX, dans un discours qui fait écho aux obsessions identitaires de l’extrême droite. (Libération) Ce groupe est par ailleurs financé par l’investisseur d’extrême-droite Pierre-Edouard Stérin (Le Monde).

+ Laurent Alexandre, autrefois chantre du transhumanisme, a progressivement viré vers un discours technonationaliste, alertant sur le risque de voir l’Europe devenir une « colonie numérique » des États-Unis et de la Chine. Ses prises de position, notamment aux côtés de Marion Maréchal lors de la Convention de la Droite, montrent comment la question numérique s’articule désormais avec les batailles idéologiques du camp nationaliste (Marianne).

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