Près de la moitié des jeunes Britanniques de 16 à 21 ans préféreraient grandir dans un monde dépourvu d'internet. Cette aspiration paradoxale, révélée par une étude BSI de mai 2025 1, interroge notre rapport collectif au numérique et dessine les contours d'une génération à la fois hyperconnectée et profondément désenchantée.
Une génération qui a grandi avec un smartphone entre les mains exprime aujourd’hui un désir inattendu : celui de vivre sans internet. Cette contradiction apparente révèle en réalité une lucidité remarquable sur les effets délétères du numérique. L’enquête menée par BSI — l’organisme britannique de normalisation nationale — auprès de 1 293 jeunes Britanniques dévoile un malaise profond au cœur même de la société hyperconnectée.
Les chiffres dessinent le portrait d’une génération captive de ses écrans. Tandis que 45% consacrent plus de trois heures quotidiennes aux réseaux sociaux, 49% accordent moins de deux heures aux activités physiques traditionnelles. Cette inversion des priorités temporelles traduit une réorganisation existentielle dont les conséquences psychologiques se révèlent préoccupantes — 68% déclarent éprouver un sentiment de malaise après leurs sessions en ligne.
Le Covid-19 a cristallisé cette dépendance numérique. Trois quarts des répondants reconnaissent avoir intensifié leur présence digitale durant la pandémie, période durant laquelle cette cohorte traversait sa phase d’adolescence cruciale — entre 11 et 16 ans. Cette accélération forcée vers l’hyperconnexion semble avoir révélé aux jeunes eux-mêmes les limites d’un modèle sociétal entièrement médiatisé par les plateformes.
Une génération en quête d’évasion numérique
Le paradoxe frappe par son ampleur : 47% souhaitent grandir dans un univers sans internet, tandis que 50% appellent de leurs vœux l’instauration d’un couvre-feu des réseaux sociaux. Ces pourcentages transcendent les clivages démographiques — 52% des jeunes femmes contre 40% des hommes expriment cette nostalgie d’un monde pré-numérique, suggérant une vulnérabilité différenciée face aux mécanismes d’addiction algorithmique.
Cette demande d’encadrement émane précisément de ceux qui maîtrisent le mieux les codes numériques. Paradoxalement, 61% se disent confiants dans leur capacité à gérer leurs paramètres de confidentialité, et 55% comprennent le fonctionnement algorithmique des contenus qui leur sont proposés. Cette compréhension technique n’empêche nullement l’émergence de comportements à risque : 42% admettent dissimuler leurs activités en ligne à leurs parents, 40% ont créé de faux comptes.
La fracture genrée apparaît particulièrement marquée dans l’exposition aux dangers. Les jeunes femmes subissent davantage de harcèlement en ligne — 37% contre 28% — et développent des mécanismes de comparaison sociale plus fréquents, 85% confrontant régulièrement leur apparence à celle d’autrui sur les plateformes.
Les signaux d’alarme d’une saturation digitale
L’étude révèle également l’ampleur des stratégies de contournement déployées par ces natifs numériques. Plus de deux cinquièmes ont prétendu être d’un âge différent en ligne, tandis que 27% ont endossé une identité fictive complète. Ces pratiques de dissimulation traduisent une conscience aiguë des vulnérabilités inhérentes aux espaces numériques, doublée d’une volonté persistante d’y naviguer malgré tout.
Susan Taylor Martin, directrice générale de BSI, souligne cette contradiction fondamentale : les technologies promises comme vectrices d’opportunités et de rapprochement social exposent finalement les adolescents à des risques substantiels tout en dégradant leur qualité de vie. L’organisme — qui détient le secrétariat du nouveau comité JTC1/SC44 Privacy by Design — plaide pour une intégration systématique de la protection de la vie privée dès la conception des produits technologiques.
Vers une régulation plus forte ?
Cette génération formule des demandes précises en matière d’encadrement réglementaire. Une écrasante majorité — 79% — exige que les entreprises technologiques soient légalement contraintes d’intégrer des garde-fous robustes dans leurs plateformes destinées aux mineurs. Cette revendication s’accompagne d’une volonté de limitation temporelle : 27% préconisent l’interdiction des téléphones dans les établissements scolaires.
Cette étude, publiée à l’occasion de la 46e assemblée plénière mondiale du Comité ISO sur la politique des consommateurs, interroge fondamentalement notre modèle de société et la responsabilité des acteurs de la tech et des gouvernements sensés les reguler. Comment préserver la santé mentale des plus jeunes dans un écosystème numérique profondément dégradé ? Loin des illusions d’émancipation et d’enpouvoirement qu’Internet a incarné à ses débuts, les réseaux sociaux et le web sont desormais vécus comme des outils aliénants, des espaces sans contrôle où les jeunes deviennent les cibles d’un système en roue libre.
- Supporting a Safe and Secure Digital World for Adolescents, BSI, mai 2025 ↩︎