EN UN COUP D’OEIL
- Dopamine, déclin cognitif et vidéos courtes : Une méta-analyse relie TikTok et consorts à une baisse d’attention et une santé mentale dégradée.
- Un modèle économique captologique : Le design des applis exploite sciemment nos biais neurologiques pour maximiser l’engagement, quel que soit l’âge.
- Réguler les algorithmes, pas le temps d’écran : Limiter la durée d’usage est inefficace face à des mécanismes conçus pour piéger l’attention.
Scroll infini, recommandations algorithmiques ultra-personnalisées, gratification dopaminergique immédiate. Une méta-analyse portant sur 98 299 participants révèle que l'usage de vidéos courtes — TikTok, Instagram Reels, YouTube Shorts — s'associe à des déficits cognitifs modérés et à une dégradation de la santé mentale. Plus troublant encore : l'usage multi-plateforme se révèle plus toxique que TikTok seul. De quoi engager la responsabilité de l'écosystème tout entier dans la conception délibérée de mécanismes captologiques.
En 1970, Groves et Thompson formalisaient leur théorie de l’habituation sensibilisation, décrivant comment une exposition répétée à des stimuli intenses désensibilise progressivement le système nerveux aux tâches moins gratifiantes. En gros, quand on expose notre cerveau à des stimulations intenses de manière répétée, il s’habitue. Résultat ? Les activités moins excitantes, comme lire un livre ou résoudre un problème, deviennent de plus en plus difficiles.
Un demi-siècle plus tard, les plateformes de vidéos courtes ont transformé cette observation scientifique en modèle économique. Le design des applications (lecture plein écran, défilement par scrolling, absence de signaux d’arrêt naturels) exploite méthodiquement ces mécanismes pour maximiser l’engagement. Une équipe de chercheurs de l’Université Griffith en Australie vient de synthétiser 71 études pour quantifier les corrélats cognitifs et mentaux de cette architecture 1.
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Les résultats, publiés dans le Psychological Bulletin, montrent que l’usage de vidéos courtes est associé à une baisse significative des performances cognitives. Concrètement ? Notre capacité à rester concentré et à résister aux distractions s’effondre. Plus significatif : l’attention et le contrôle inhibiteur, en gros, notre capacité à résister aux distractions, présentent les corrélations les plus marquées.
Les plateformes semblent façonner des schèmes d’engagement où le cerveau s’oriente vers des interactions brèves et hautement récompensées plutôt que vers des tâches requérant une concentration prolongée. Chez les gros utilisateurs, les zones qui contrôlent l’attention réagissent moins bien pendant des tâches qui demandent de la concentration. C’est comme si le cerveau, habitué à recevoir des récompenses toutes les dix secondes, refusait désormais de faire des efforts prolongés.
Jeune ou vieux, même combat
L’étude de Walla et Zheng, menée en 2024 avec des mesures électrophysiologiques, montre que l’activité neuronale se réduit chez les hyperutilisateurs, celles et ceux qui scrollent à longueur de journée, lors de tâches cognitives. Et ce que montre la méta-analyse à laquelle l’étude de Walla et Zheng est intégrée, c’est que l’âge ne protège personne. On pourrait croire que les ados, avec leur cerveau en construction, sont plus vulnérables. Faux. Les adultes subissent le même impact. Pourquoi ? Parce que notre système de récompense, celui qui libère de la dopamine quand on fait quelque chose de plaisant, reste actif toute la vie. Les algorithmes de TikTok ou Reels savent comment l’activer, peu importe qu’on ait 15 ou 45 ans.
Côté santé mentale, les associations sont moins fortes, mais bien réelles. L’anxiété et le stress arrivent en tête, suivis de la dépression. En revanche, aucun lien significatif n’apparaît avec l’estime de soi ou l’image corporelle, probablement parce que les contenus alternent entre influenceurs à la Thibault In Shape et mouvements body-positive. La diversité des vidéos brouille les effets. Reste que les effets des réseaux sociaux sur la dysmorphophobie sont réels et qu’ils participent à une dégradation de l’image de soi 2. Autre découverte de l’étude : la qualité du sommeil se dégrade. Scroller avant de dormir surstimule le cerveau et retarde l’endormissement. Le cycle se boucle : moins on dort, plus on est anxieux et déprimé, plus on scrolle pour se distraire.
L’effet cumulatif de la fragmentation attentionnelle
L’étude le confirme, l’étude montre qu’utiliser plusieurs plateformes de vidéos courtes fait plus de mal qu’utiliser uniquement TikTok seulement. Cette découverte s’explique par le cumul d’exposition. Primack et ses collègues avaient établi en 2017 qu’utiliser entre sept et onze plateformes sociales multiplie par trois les risques de dépression et d’anxiété comparativement à l’usage de deux plateformes maximum. La fragmentation attentionnelle s’agrège : chaque application déploie ses propres algorithmes de recommandation, ses interfaces de capture, ses temporalités de gratification. Le cerveau passe son temps à s’adapter à différents flux de stimulations, sans jamais trouver de stabilité.
Quand TikTok a été temporairement banni aux États-Unis début 2025, les utilisateurs ne se sont pas arrêtés : ils ont migré en masse vers RedNote et Lemon8. Ce mouvement des « réfugiés de TikTok » illustre le problème. Les vidéos courtes ne sont plus une fonctionnalité isolée, mais un écosystème entier avec Instagram et ses Reels, YouTube et ses Shorts qui concentrent les usages hors TikTok. L’absence de régulation transversale amplifie cette dispersion des usages sans coordination des protections.
Réguler les mécanismes, pas seulement les durées
L’addiction aux vidéos courtes, évaluée par des échelles mesurant la perte de contrôle, le besoin compulsif, l’interférence avec les activités quotidiennes, corrèle bien plus fortement avec la santé mentale que la simple durée d’usage. Pour le dire simplement: ce n’est pas tant le temps passé qui pose problème que le type d’usage. Partir activement à la recherche d’une recette de cuisine Mongol du XVe siècle pour confectionner un menu exotique n’est pas la même chose que de regarder en boucle des ânes se rouler par terre avec des chats mignons. Du coup, les solutions actuelles portées par certains législateurs tendant à limiter l’usage à une heure par jour ou interdire aux moins de 16 ans passent à côté du vrai problème et alimentent la panique morale.
Ce qu’il faudrait réguler, c’est la conception même des plateformes. Certains chercheurs suggèrent que la transparence algorithmique, la diversification imposée des contenus et les nudges 3 d’interruption pourraient constituer des leviers plus pertinents que les interdictions d’âge ou les limites horaires. Le Digital Services Act européen semble prendre cette direction en imposant aux très grandes plateformes d’évaluer les risques systémiques de leurs systèmes de recommandation. Reste que l’application concrète de ces obligations demeure fragmentaire, tandis que les études s’accumulent et documentent méthodiquement comment ces architectures modifient notre cerveau. Les plateformes continueront-elles à perfectionner des systèmes dont la science prouve la toxicité cognitive ?
- Nguyen, L., Walters, J., Paul, S., et al. (2025). “Feeds, Feelings, and Focus: A Systematic Review and Meta-Analysis Examining the Cognitive and Mental Health Correlates of Short-Form Video Use”, Psychological Bulletin, Vol. 151, No. 9, pp. 1125-1146 Lien DOI : https://doi.org/10.1037/bul0000498 ↩︎
- Khajuria A, Gandotra A, Khajuria A, Arora K, Gupta RK, Gupta U, Babber S. Role of Social Media in the Rising Body Dissatisfaction and Dysmorphia Among Adolescents. Cureus. 2025 Jan 31;17(1):e78314. doi: 10.7759/cureus.78314. PMID: 40034880; PMCID: PMC11873132. ↩︎
- Anglicisme qui désigne un outil conçu pour modifier nos comportements au quotidien, sous la forme d’une incitation discrète. Il se traduit littéralement par « coup de coude » – ou plutôt « coup de pouce » ↩︎
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