La possible reconduction de la VSA est-elle vraiment une surprise? Beaucoup l'annonçaient

Qui l’eut cru ? Le gouvernement prêt à prolonger la vidéosurveillance algorithmique après les JO ?

EN UN COUP D’OEIL

  • Généralisation discrète : Le gouvernement veut prolonger la vidéosurveillance algorithmique au-delà des JO, sans attendre l’évaluation prévue par la loi.
  • Une méthode contestée : Déployée par “petits pas”, la VSA soulève des critiques sur son efficacité, son coût et ses dangers pour les libertés.
  • Risques autoritaires : En cas d’abus, ces outils pourraient servir à réprimer les contestations, accentuant un recul des droits fondamentaux.
« C’était prévisible », « quileucru.jpeg », « comme d’habitude des mesures provisoires de contrôle sont appliquées et on finit par les pérenniser »… La résignation a affleuré, le 2 octobre dernier, après que le Premier ministre ait annoncé sa volonté de pérenniser les dispositifs de vidéosurveillance algorithmique testés lors des Jeux Olympiques 2024.

Les Jeux Olympiques ? Mais si, vous savez, ce moment d’union nationale, cette vitrine de la culture française 1, cette mise sur pause des considérations politiques (on déciderait du gouvernement plus tard), cette occasion rêvée de tester quelques systèmes algorithmiques sur les flux de caméras de surveillance…

L’expérimentation a si bien fonctionné (selon la police) que Michel Barnier, premier ministre fraichement choisi au sein de son ultra-majoritaire parti arrivé bon quatrième 2 lors des élections législatives, annonce dans sa déclaration de politique générale souhaiter 3 une « généralisation de la méthode expérimentée pendant les Jeux olympiques », c’est-à-dire une extension de la vidéosurveillance algorithmique (VSA).

C’est à ces mots qu’une ribambelle de citoyens rabats-joie se sont mis à jouer du bien heureux même ci-dessous, appelé chez nous « commentdonc.jpg » (mais si vous lui choisissez un autre titre, on ne vous en tiendra pas rigueur).

Irrespect de la loi JO

À la décharge de M. Barnier, quelques jours plus tôt, devant la Commission des lois, le préfet de police Laurent Nuñez 4 s’était déclaré favorable à la reconduction du dispositif. Si Laurent Nuñez dit que ç’a marché, il faut lui faire confiance, car en termes d’éléments tangible susceptibles d’appuyer son bilan, c’était niet.

Les propos du préfets de police, cela dit, ont convaincu le Premier ministre. Pour Félix Tréguer, cofondateur de La Quadrature du Net 5 et auteur de Technopolice 6, tout juste sorti aux éditions Divergences, c’était prévisible. Cela dit, « c’est surprenant qu’ils ne prennent pas la peine de suivre leur propre cadre, qu’il n’y ait aucune volonté de préserver les apparences d’une évaluation ».

Car, aussi contestée qu’ait pu être l’expérimentation dès le départ, elle avait été lancée dans un cadre précis (celui fixé par la loi relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024), et devrait bien susciter évaluation (pluridisciplinaire, qui doit être remise d’ici au 31 décembre 2024).

Mécanique bien huilée

Mais que nous disait ladite loi ? Qu’« à la seule fin d’assurer la sécurité de manifestations sportives, récréatives ou culturelles (…) les images collectées au moyen de systèmes de vidéoprotection » pouvaient « faire l’objet de traitements algorithmiques », et ce « à titre expérimental et jusqu’au 31 mars 2025 » (article 10) 7.

Le but de ces traitements est de détecter des événements prédéterminés, parmi lesquels 8des mouvements de foule, de objets abandonnés, la présence ou l’utilisation d’armes, ou encore le non-respect d’un sens de circulation commun. Et le gouvernement doit « remettre au Parlement, au plus tard le 31 décembre 204, un rapport d’évaluatin de la mise en œuvre de l’expérimentation ». Peut-être le nouveau Premier ministre n’a-t-il pas eu le memo.

Mais la méthode fait tout de même tiquer, car elle est correspond en tous points à ce que Félix Tréguer qualifie de « stratégie des petits pas ». D’autres la qualifient quelque fois d’effet cliquet 9, mais la logique globale reste la même : déployer des cas d’usage « relativement peu sensibles pour les libertés publiques, en apparence », souvent à la faveur de grands événements sportifs 10 ou culturels, pour faciliter l’acceptation sociale 11 de la VSA.

Cette méthode, le sociologue et activiste l’observe depuis 2019, via le projet Technopolice : « à l’époque, le gouvernement, par l’intermédiaire de son secrétaire d’État au numérique Cédric O, voulait déjà 12 déployer la reconnaissance faciale, rappelle-t-il. 

« Les débats relatifs à l’impact des passes sanitaires sur les libertés fondamentales, puis tous ceux relatifs aux violences policière l’ont mené à reculer pendant un moment. » Mais le recul n’est que de façade, révèle Disclose 13 fin 2023 : depuis 2015, les forces de l’ordre utilisent en secret et en toute illégalité le logiciel de reconnaissance faciale Vidéo Synopsis construit par la société israélienne Briefcam. D’abord testé en Seine-et-Marne, il est étendu dès 2017 aux services de police de plusieurs autres départements, de même qu’à la police judiciaire, à la gendarmerie nationale et à divers autre services.

Recul des libertés publiques pour efficacité non prouvée

C’est pourquoi, à l’époque de la loi relative aux Jeux Olympiques, la Quadrature du Net cinglait 14 sur X : « comme prévu, le gouvernement utilise le prétexte de ce méga évènement pour légaliser la vidéosurveillance automatisée, véritable passage à l’échelle supérieure de la surveillance de nos comportements. » Si elle validait le projet, la CNIL déplorait 15 de son côté la précipitation dans laquelle le projet avait été construit. 

C’est aussi pourquoi Amnesty alertait 16 que la généralisation de la vidéosurveillance nous rapproche encore de la reconnaissance faciale. Et pourquoi les « qui aurait pu prédire ? » ont fusé juste après les propos de Michel Barnier. 

Auteur d’une thèse 17 sur l’évaluation de la vidéosurveillance dans les politiques publiques, puis d’une étude sur ces dispositifs en matière de délinquance du quotidien pour le Centre de recherche de l’École des officiers de la gendarmerie nationale, Guillaume Gormand avait à l’époque comparé la défense de la vidéosurveillance à une religion 18 – culte aussi difficile à critiquer que celui du technosolutionnisme.

Après tout, demande Guillaume Gormand sur LinkedIn 19, ce recours récurrent aux dernières innovations technologique n’est-t-il pas « surtout la démonstration que nos dirigeants sont en mal d’idées en matière de sécurité publique ? »

Ce qui est certains, c’est que leur risques sont clairs : en cas de dérive autoritaire, il sera très simple de détourner ces outils pour museler d’éventuels contestataires. L’efficacité de la VSA pour lutter contre la délinquance, elle, reste à démontrer 20. Quant à son coût, il continue 21 de grever 22 les budgets 23 (en 2020, la Cour des Comptes s’est elle-même inquiétée 24 de l’augmentation constante des dépenses en technologies de surveillance, sans suivi de l’efficacité des dispositifs).

  1. L’hyperculturalisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 : un modèle français, The Conversation, 8 août 2024 ↩︎
  2. Législatives 2024 : la France politique en cartes et en infographies à l’issue des élections, LCP, 14 juillet 2024 ↩︎
  3. Le gouvernement envisage de généraliser la vidéosurveillance algorithmique expérimentée pendant les JO, France Info, 2 octobre 2024 ↩︎
  4. Après les JO, le préfet de Paris veut prolonger la vidéosurveillance algorithmique, Next, 26 septembre 2024 ↩︎
  5. la quadrature.net ↩︎
  6. Lien vers les éditions divergences ↩︎
  7. LOI n° 2023-380 du 19 mai 2023 relative aux jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 et portant diverses autres dispositions ↩︎
  8. Décret n° 2023-828 du 28 août 2023 relatif aux modalités de mise en œuvre des traitements algorithmiques sur les images collectées au moyen de systèmes de vidéoprotection ↩︎
  9. Effet cliquet, Wikipédia ↩︎
  10. Incidents au Stade de France : La reconnaissance faciale permettrait-elle vraiment d’améliorer la gestion des foules ?, 20 minutes, 9 juin 2022 ↩︎
  11. La Guyane veut « favoriser l’acceptabilité sociale » de la vidéosurveillance algorithmique (VSA), Next, 12 août 2024 ↩︎
  12. Cédric O : « Expérimenter la reconnaissance faciale est nécessaire pour que nos industriels progressent », Le Monde, 14 octobre 2019 ↩︎
  13. La police nationale utilise illégalement un logiciel israélien de reconnaissance faciale, Disclose, 14 novembre 2023 ↩︎
  14. Le tweet de la Quadrature ↩︎
  15. Les JO 2024 constitueront « un tournant » pour la surveillance algorithmique de l’espace public, Next, 5 janvier 2023 ↩︎
  16. Le tweet d’Amnesty International ↩︎
  17. L’évaluation des politiques publiques de sécurité : résultats et enseignements de l’étude d’un programme de vidéosurveillance de la Ville de Montpellier, Guillaume Gormand, 2017 ↩︎
  18. Pour le chercheur Guillaume Gormand, “critiquer la vidéosurveillance, c’est s’attaquer à une religion”, Guillaume Gormand, Aef Info, 10 décembre 2021 ↩︎
  19. Le post sur Linkedin ↩︎
  20. Incidents au Stade de France : La reconnaissance faciale permettrait-elle vraiment d’améliorer la gestion des foules ?, 20 minutes, 9 juin 2022 ↩︎
  21. Plus de quarante caméras en ville mais à quel coût ?, La Nouvelle République, 12 mai 2018 ↩︎
  22. Nantes. Le coût des caméras de « vidéoprotection », ça vaut le coup ?, Ouest France, 15 octobre 2021 ↩︎
  23. Vidéosurveillance : des factures élevées pour les communes, TF1, 17 février 2022 ↩︎
  24. Les polices municipales, La Cours des Comptes, 20 octobre 2020 ↩︎

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