EN UN COUP D’OEIL
- La Silicon Valley prend le contrôle : Une poignée de milliardaires pousse une vision libertarienne, sécessionniste et autoritaire de l’avenir via la technologie.
- Un pouvoir techno-réactionnaire : La tech ne vend plus l’avenir, elle l’impose, souvent aux dépens des États et des droits collectifs.
- Des utopies aux dystopies : Villes privées, seasteading, Próspera… Le technofascisme s’implante dans le réel, avec des conséquences concrètes.
Avec « Apocalypse Nerds », Nastasia Hadjadji (qui écrit pour Synth) et Olivier Tesquet (Télérama), proposent un panorama précis du technofascisme contemporain. Leur essai, méthodique et documenté, dévoile comment une poignée de milliardaires de la Silicon Valley orchestrent un mouvement réactionnaire et sécessionniste sous couvert d'innovation technologique. Un livre boussole pour comprendre les mutations autoritaires de notre époque.
Dense, précis et documenté, Apocalypse Nerds, comment les technofascistes ont pris le pouvoir 1 s’inscrit dans la lignée des ouvrages indispensables pour comprendre la trajectoire d’une Amérique où la politique semble désormais façonnée par les Tech Bro de la Silicon Valley. Au fil des quelque 190 pages de l’enquête, les deux journalistes s’emploient à déchiffrer le spectacle d’une Amérique qui semble se décomposer sous nos yeux, et où le pouvoir accélère son glissement d’une élite politique vers une élite de la tech.
De la petite histoire à la grande, on entre dans cette Amérique “great again” où la tech se saisit du pouvoir. On revit, médusé, cette scène surréaliste de février 2025 dans le bureau ovale de la Maison-Blanche. Là où, un Elon Musk gonflé d’arrogance à l’évocation des missions du DOGE sensé slasher le budget de l’administration américaine, s’agite aux côtés d’un Trump visiblement dans un mauvais jour.
Zoom arrière, le livre se détache de l’anecdote pour prendre rapidement du recul, replacer l’actualité dans un continuum droitier qui démystifie l’idée d’une tech de gauche, libérale. Dans leur analyse, Nastasia Hadjadji et Olivier Tesquet emboitent le pas à d’autres ouvrages comme Les prophètes de l’IA : Pourquoi la Silicon Valley nous vend l’apocalypse 2 de Thibault Prévost, le plus récent La contre Révolution Californiene 3de l’historienne Sylvie Laurent, le moins récent ouvrage de l’américain Malcom Harris, Palo Alto ou encore les travaux de Grebru et Torres 4 sur les fondements idéologiques de la tech. Les sources bibliographiques sont, elles, nombreuses, ce qui parfois manque dans ce type d’ouvrages.
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Le sillon tracé par Nastasia Hadjadji et Olivier Tesquet prolonge la question centrale du livre : la technologie nous conduit-elle vers une forme de fascisme ? Et si oui, comment, pourquoi? Avec eux, nous voilà donc partis pour une descente aux enfers des concepts fumeux dans lesquels baignent les Tech Bro, où les discours anarcho-capitalistes, néo-réactionnaires ou franchement transhumanistes côtoient dans un même panthéon le libertarianisme, les idées ségrégationnistes et totalitaires inspirées des régimes autoritaires du début du XXe siècle. Dans ce foutoir à concepts porté par des idéologues iconoclastes comme Curtis Yarvin ou de plus traditionnels comme Nick Land, les journalistes s’échinent à remettre de l’ordre, décrire, expliquer, mettre en perspective.
Une envie de sécession
Ce qu’ils démontrent, c’est que les entrepreneurs et « intellectuels » de la tech ne veulent, pour beaucoup d’entre, plus faire partie de ce monde. La sécession est leur point de mire, la privatisation de l’espace public, la contractualisation des rapports pour protéger les intérêts particuliers au détriment du plus grand nombre constitue leur horizon idéal. Dans leur logiciel, l’état providence est un bug, un système à démanteler et à remplacer. Il faut aller vite, tout casser, sidérer et imposer ses lois. Naomi Klein avait vu juste sur la méthode.
De l’enclave libertarienne de Próspera au Honduras — financées à coups de millions de dollars par les oligarques californiens — aux expérimentations de “seasteading” en haute mer, en passant par les projets de villes privées en Afrique, au Texas ou en Asie, c’est le paradis des Tech Bro qui nous est aussi décrit. Avec ça, la confirmation que le technofascisme ne se contente pas de théories : il s’incarne dans des territoires concrets, souvent au détriment des populations locales. Une redite de la pensée coloniale, plus moderne, plus efficace encore grâce à la tech.
Du projet à la réalité, la marche est pourtant haute et, de toutes ces expérimentations, peu survivent à l’épreuve du temps. Le livre termine sur une note d’encouragement sans réponse claire sur les raisons de la fascination que provoquent les figures tutélaires de la tech comme Musk, Thiel ou Altman pour ne citer qu’eux. Manque également de véritables méthodes de lutte à employer, si ce n’est que l’indignation chère à Stéphane Hessel. Peut-être un bon point de plus au final, pour un livre qui dresse un constat clair et vous laisse imaginer la voie à emprunter pour lutter contre la vision des Tech Bro.
- Apocalypse Nerds, Comment lestechnofascistes ont pris le pouvoir, Divergence, 2025 ↩︎
- Les prophètes de l’IA :Pourquoi la Silicon Valley nous vend l’apocalypse, LUX, 2024 ↩︎
- La contre révolution californiene, Seuil Libelle, 2025 ↩︎
- The TESCREAL bundle: Eugenics and the promise of utopia through artificial general intelligence, Timnit Gebru, Emile Torres, 2024 ↩︎
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