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Vidéosurveillance

Vidéosurveillance algorithmique : effet cliquet et culture de la surveillance

EN UN COUP D’OEIL

  • Vers une surveillance permanente : L’expérimentation des caméras intelligentes, initialement prévue pour les JO, pourrait être prolongée jusqu’en 2027.
  • Une acceptation croissante : 76 % des Français approuvent la vidéosurveillance, un basculement par rapport aux mobilisations contre la loi sécurité globale.
  • Un débat biaisé : La question de l’efficacité technique des caméras supplante celle de leur impact sur les libertés individuelles et la société.
Alors qu’elle devait s’interrompre le 31 mars 2025, l’expérimentation de la vidéo intelligente pourrait se poursuivre jusqu’à mars 2027. Un régime d’exception qui illustre à merveille la notion “d’effet cliquet” et qui ne rencontre qu’une relative apathie dans la population. Vous avez dit sidération ?

« Vidéoprotection algorithmique, sécurité privée : après les JOP, jouons les prolongations », affirment avec panache les sénatrices Françoise Dumont (Les Républicains) et Marie-Pierre de la Gonterie (Parti Socialiste). Dans leur rapport d’information sur le bilan de la loi d’expérimentation JOP2024, les deux parlementaires proposent d’étendre l’expérimentation des caméras dites « intelligentes (Sénat).

+ Lancés dans le cadre des JO de Paris, ces tests grandeur nature de vidéosurveillance algorithmique sont donc amenés à s’implanter durablement dans nos vie. Pour rappel, cette technologie vise à coupler les images issues des caméras situées sur la voie publique à des logiciels de détection automatisée d’événements qualifiés d’anormaux, comme les mouvements de foule, la détection de colis abandonnés ou le franchissement de zone interdite.

+ La préfecture de police de Paris, la RATP, la SNCF et la ville de Cannes, ont ainsi procédé à 47 expérimentations avant, pendant et après les Jeux olympiques. Le comité d’évaluation a rendu un rapport très mitigé sur les résultats de la VSA lors de cet événement mondial. La saturation policière de Paris pendant les Jeux olympiques et le temps circonscrit des tests rendraient l’expérimentation peu pertinente, selon les rapporteur (Le Monde).

+ C’est pour cette raison que les deux sénatrices proposent d’allonger la durée de l’expérimentation. Elles s’alignent ainsi sur un amendement à la proposition de loi de Philippe Tabarot, soutenu par le gouvernement, relative à la sûreté dans les transports. La solution : repousser la fin de l’expérience jusqu’au 31 décembre 2027, suggère la Commission Mixte Paritaire qui a statué sur le sujet (Assemblée nationale). La commission mixte paritaire, chargée de s’accorder sur un texte a présenté les 17 et 18 mars aux deux chambres du Parlement, a trouvé un accord : l’expérimentation pourrait se poursuivre jusqu’en mars 2027 (Le Monde).

Mais, à part la Quadrature du net, qui s’en soucie ? (La Quadrature du Net)

76% de français OK avec la surveillance généralisée

Où sont passés les cortèges de centaines de milliers de personnes, qui en 2021 marchaient en France contre la loi sécurité globale ? Aujourd’hui, 76 % de Français plutôt OK pour voir les caméras fleurirent sur la voie publique (Le Monde).

+ Rembobinons. À l’époque la contestation contre la Loi “sécurité globale” pointait un texte liberticide. En plus d’une surveillance accrue par les drones, il proposait également l’interdiction de la diffusion des images de forces de l’ordre. Si cet article avait été adopté – il sera finalement retoqué par le Conseil constitutionnel – filmer un policier identifiable et publier la vidéo en ligne, aurait exposé son diffuseur à des poursuites (RSF).

+ La forte mobilisation de journalistes et le soutien des syndicats dans la très éclectique coordination “StopLoiSécuritéGlobale” avaient, à l’époque, fédéré une lutte globale contre le projet. Celle-ci avait été accentuée un choc, celui provoqué par – ironie du sort – la diffusion des images du tabassage par la police de Michel Zecler, captées par une caméra privée (Loopsider).

+ Aujourd’hui, la vidéosurveillance, algorithmique ou non, connaît même une forte adhésion dans la population. Dans une étude de 2024 publiée par le Think Tank Continuum Lab, 76 % des Français interrogés adhérent à l’idée que les caméras permettent « de mieux assurer la sécurité de la voie publique et contribue la résolution d’enquête ». Seuls 22 % considèrent que la vidéosurveillance « porte atteinte aux libertés individuelles et favorise la surveillance de masse » (Continuum Lab).

Surveillance, le new normal

David Lyon, sociologue auteur de The Culture of Surveillance. Watching As a Way of Life (Polity Press, 2018), constate dans notre société un ancrage puissant de la surveillance. Elle ne serait plus seulement exercée par les États, mais également par les citoyens : s’observer et observer les autres devient normal. Au point de banaliser la surveillance ?

+ C’est aussi l’hypothèse d’une étude parue en 2024 dans la revue de référence Surveillance and Society. Elle établit un lien entre l’acceptation de la surveillance policière et la présence d’autres types de surveillance dans la vie privée et d’utilisation d’outils associés : consultation des réseaux sociaux par les employeurs, utilisation de drone de loisir, caméra de contrôle parental, acceptation de la collecte de données pour les publicités ciblées (revue Surveillance & Society).

+ Le problème se situe en partie dans le cadrage du débat. Les médias n’imposent pas ce qu’il faut penser, mais délimitent les contours du sujet. Très souvent, la question « est-ce que ça marche ? » éclipse l’interrogation « est-ce souhaitable ? ». Un tel cadrage tend à circonscrire à des données techniques, ça marche ou ça ne marche pas, et pas à se positionner sur l’utilité sociale et la place de ces outils dans notre société et notre droit (AEF info).

+ Un biais que l’on retrouve explicité dans l’ouvrage Your Face Belongs to Us (Random House, 2023) de Kashmir Hill, qui revient sur l’histoire de la technologie VSA et les débats associés à partir du cas de Clearview AI, le champion de la reconnaissance faciale ((Danslesalgorithmes.net).

L’expérimentation comme état d’exception

En 2014, Eric Piolle, maire écologiste de Grenoble, faisait état de sa volonté de démonter les caméras de sa ville pour les revendre à son voisin, le très sécuritaire maire de Nice, Christian Estrosi (France bleu).

+ Au-delà des propositions radical-chic, les Verts, plutôt sensibles à l’argumentaire scientifique d’une efficacité tout relative de la vidéosurveillance pour lutter contre la délinquance peinent à incarner la position critique (AEF info).

+ À Bordeaux, dirigée par Pierre Hurmic, les caméras continuent de s’installer, jusqu’à doubler d’ici 2026, sous la supervision d’un comité éthique (Libération). À Lyon, une évaluation plutôt ambitieuse du dispositif conduit finalement à réaffecter des caméras ou à les rendre nomades, mais pas à les désinstaller (AEF info).

Aujourd’hui, être critique revient à ralentir l’expansion des caméras, pas à la contrer. Incarner une position contre l’émotion et le fameux « sentiment d’insécurité » devient trop coûteux politiquement. La faute au net virage droitier de la politique en général, en particulier sur les questions sécuritaires.

+ Philippe Latombe, député Modem, incarne bien cette logique de triangulation dans le domaine de la surveillance. Malgré des travaux non dénués d’intérêts (Assemblée nationale) – peut-être parce qu’il est l’un des seuls à s’y intéresser –, il prêterait néanmoins une oreille trop attentive aux industriels du milieu, notamment ceux de l’AN2V, lobby très influent de la vidéosurveillance en France (Streetpress).

+ Car ces entreprises savent y faire pour placer leurs billes et obtenir des régimes d’exception. L’expérimentation de la vidéosurveillance algorithmique ne vient pas de nulle part, et Philippe Latombe n’est pas le premier à avoir été harponné par les chantres de la vidéosurveillance. Il s’agit au contraire d’un travail de lobbying de longue haleine du secteur de la sécurité, main dans la main avec l’État. Le contrat stratégique de la filière accord passé entre l’État et les industries de sécurité, prévoyait déjà des expérimentations et le déploiement de technologie pendant les Jeux olympiques (CSF 2020-2022).

+ Le chercheur Félix Tréguer, membre de la Quadrature du Net, met en avant le continuum qui existe entre une disposition comme l’État d’urgence et les “bacs à sable règlementaires” en matière de surveillance. Le tout au détriment de la protection des lbertés fondamentales et du droit (Le Monde diplomatique).

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