EN UN COUP D’OEIL
- Tech et pouvoir politique : La collusion croissante entre Musk, Thiel et Trump menace toute tentative de régulation sur la concurrence et la vie privée.
- Vers un “cyber-autoritarisme” : L’alliance de la Silicon Valley et des Républicains radicalise le cyber-libertarianisme, désormais tourné vers le contrôle étatique.
- Un modèle insoutenable : La frénésie de données, l’impact environnemental de l’IA et une bulle financière inquiètent sur le futur de la tech.
De passage à Marseille à l'occasion du festival le Nuage était sous nos pieds, organisé par le collectif éponyme composé de différentes association dont La Quadrature du Net, Technopolice, le collectif des Gammares, Paris Marx revient sur la récente élection de Donald Trump à la présidence américaine. Il dresse un constat sans détour d'un futur qui se décline à la sauce cyber-autoritaire. Un entretien à lire ou à découvrir en vidéo.
Gérald : Comment percevez-vous l’impact de la récente élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis soutenu par Elon Musk, leader de facto de la tech américaine et nouveau ministre de “l’efficacité gouvernementale” ?
Paris Marx : À vrai dire, je n’en suis pas ravi. Je m’inquiète beaucoup de cette collusion croissante entre certains milliardaires de la tech comme Elon Musk ou Peter Thiel et le camp politique de Donald Trump. Nous observons une convergence d’intérêts, où des figures influentes de la Silicon Valley comme Musk cherchent non seulement à influencer, mais aussi à modeler les politiques de l’administration. Cela risque de réduire considérablement les perspectives de régulation de l’industrie, notamment en matière de concurrence, de droits des travailleurs, et de protection de la vie privée. Ces soutiens politiques visent à démanteler les agences de régulation qui pourraient leur nuire, comme la FTC ou la SEC.
Gérald : Pensez-vous que le cyber-libertarianisme incarné par ces milliardaires va cadrer la présidence Trump ?
Paris Marx : Si le cyber-libertarianisme voulait initialement se débarrasser de l’ingérence de l’État pour laisser libre cours à l’innovation, aujourd’hui, nous assistons à une radicalisation vers une sorte de “cyber-autoritarisme”. L’objectif pour beaucoup de ces entreprises de la tech, dont la domination mondiale sur l’économie et le numérique s’accroit chaque jour, est maintenant de contrôler directement les leviers du gouvernement pour s’assurer que leurs intérêts restent intouchables. Cette collusion avec des administrations qui se montrent bienveillantes envers la dérégulation leur permet d’éviter toute tentative de régulation sévère.
Aujourd’hui, nous assistons à une radicalisation vers une sorte de “cyber-autoritarisme”.
Gérald : En parlant d’influence, comment interprétez-vous l’engagement public de Musk en faveur de Trump par rapport à la discrétion de Bezos ou Zuckerberg ?
Paris Marx : Musk a effectivement joué un rôle de chef de file, incitant d’autres milliardaires de la tech à le rejoindre dans son soutien à Trump, notamment en abondant à son Political Action Comitee (PAC). Cela a créé un contraste très marqué avec des dirigeants comme Jeff Bezos ou Mark Zuckerberg, qui ont préféré une approche plus discrète pour éviter les représailles des Républicains qui les soupçonnent de jouer le jeu des démocrates. Pour autant, leur discrétion ne marque pas une absence de positionnement. L’objectif de Jeff Bezos, Mark Zuckerberg, Tim Cook ou Pinchai consiste à assurer que leurs entreprises restent en bon termes avec les deux bords politiques. Bien qu’ils ne se soient pas explicitement associés à la campagne, ils ont tout de même pris des mesures pour s’assurer que leurs plateformes ne dérangent pas les intérêts conservateurs, notamment en relâchant les efforts de modération des contenus.
Gérald : Dans ce contexte, comment envisagez-vous le futur de la régulation technologique ?
Paris Marx : Il est peu probable qu’il y ait une régulation significative dans les prochaines années. Les lois sur la vie privée ou même la régulation de l’intelligence artificielle, notamment l’executive order du président Biden, risquent d’être soit supprimées, soit d’être conçues par et pour les intérêts de l’industrie. Du coté de la lutte contre le réchauffement climatique, auquel la tech contribue largement par son activité, on observe également une tentative de révision des règles comptables en matière de carbone par des entreprises comme Amazon et Meta, qui cherchent à minimiser l’impact réel de leurs émissions. À l’échelle internationale, je pense que cette administration, soutenue par les géants de la tech, sera bien plus agressive envers l’Europe pour freiner toute régulation. Et d’ailleurs, Apple, par l’intermédiaire de son PDG Tim Cook, a déjà fait pression pour obtenir des conditions fiscales avantageuses afin de maximiser ses bénéfices.
Gérald : Dans votre série “Data Vampires” diffusé sur Tech won’t save us, vous avez notamment abordé l’impact environnemental de l’IA. Que nous apprends cette série sur la dépendance croissante aux centres de données ?
Paris Marx : La soif de ressources pour alimenter ces centres de données est vertigineuse, et elle ne fait qu’augmenter avec la popularité de l’IA générative. Ces infrastructures exigent une quantité massive d’eau, d’énergie, et de matériaux issus de l’extraction minière. Les géants de la tech annoncent de futurs investissements dans des solutions comme l’énergie nucléaire, mais soyons réalistes : cela reste du marketing à court terme, les centrales nucléaires ne poussent pas comme des champignons. Dans les faits, leur demande énergétique repose encore largement sur des énergies fossiles, et leurs émissions continuent de grimper inlassablement, ce qui ne semble d’ailleurs leur poser aucun problème. C’est le modus operandi normal dans ce type d’industrie.
Gérald : Cette frénésie de collecte de données, est-ce un modèle économique viable à long terme ?
Paris Marx : Je pense que ce modèle de consommation de données pour fournir des services gratuits en échange de notre vie privée a atteint un point critique. Au fil du temps, la qualité de ces services s’est dégradée et les entreprises cherchent désormais à intégrer l’IA dans chaque aspect de notre vie. Cela restreint nos choix en nous enfermant dans des systèmes conçus pour favoriser les intérêts économiques de ces géants de la tech. La société doit reconsidérer ce “pacte de données”, car les conséquences sur nos libertés individuelles sont bien plus graves que ce que l’on pourrait penser.
Gérald : Certains prédisent l’éclatement de la bulle de l’IA. Si cela se produit, quelles en seraient les répercussions ?
Paris Marx : Si la bulle de l’IA éclate, les effets seront probablement très vastes, potentiellement similaires à l’explosion de la bulle internet des années 2000, peut-être plus grands. La valeur artificiellement élevée des actions des grands acteurs technologiques maintient l’économie américaine dans une illusion de prospérité et aveugle les dirigeants qui considèrent encore les États-Unis comme une économie dynamique. Une telle crise pourrait avoir des effets bien plus étendus que la crise qui a touché les cryptomonnaies, car l’IA, contrairement aux cryptos, est déjà intégrée dans une multitude d’industries. L’impact serait dévastateur si cette bulle venait à imploser, surtout avec des investissements à des niveaux aussi élevés. En tous cas, l’arrivée de Trump au pouvoir et son lot de stimuli très favorables aux entreprises du numérique va certainement retarder l’explosion de cette bulle, mais pour combien de temps, je ne saurai le prédire.